Un temps attribué à Soljenitsyne, un chef-d'oeuvre à redécouvrir, par un des grands dissidents russes, injustement méconnu.
Depuis
Janvier 2013, les Editions Belfond ont décidé de remettre à
l'honneur de grands romans qui ont eu du succès en leur temps mais
qui sont un peu oubliés aujourd'hui, et de les rassembler dans une
collection. Voici comment est né la Collection « Belfond
[Vintange] ».
« Le
Fidèle Rouslan » de Gueorgui Vladimov est le 7e titre à
paraître dans cette collection, en ce mois de janvier 2014.
Roman
phare d'un auteur russe, qui m'était complètement inconnu, je
l'avoue (en même temps, comme auteurs russes je ne connais que
Tolstoï, Dostoïvski et Pouchkine (pour ce dernier, je le connais
plus que de nom puisque j'ai lu il y a deux ou trois ans, « La
Fille du Capitaine) : des auteurs classiques) , « Le
Fidèle Rouslan », m'a de suite intrigué quand je l'ai tenu
entre mes mains. Puis, cela me permettrait de découvrir plus avant
la littérature russe contemporaine.
Ce
petit roman m'a complètement captivé : Gueorgui Vladimov
raconte l'enfer des goulags à travers les yeux d'un chien de garde.
Le lecteur est alors à hauteur d'animal pour découvrir un monde
sans pitié.
L'auteur
dénonce le côté barbare des camps, mais fustige également le
petit Père des peuple, Staline, dans un monologue cinglant et sans
concession, tenu par « Le Rapé », ancien prisonnier du
goulag où officiait Rouslan.
Avant,
d'aller plus loin, il faut quand même que je précise, qu'au début
du roman le camp où vit Rouslan, vient d'être fermé et que les
chiens, qui ne servent désormais plus à rien, puisqu'il n'y a plus
rien à défendre et à garder, doivent être éliminé Sauf que le
Maitre de Rouslan y renonce et libère tous les chiens, qui vont
alors se retrouver à errer dans le village, ne sachant pas comment
continuer à vivre.
C'est
probablement cela qui m'a le plus énervé : ces chiens
entraînés pour une seule chose : surveiller des prisonniers,
les ramener quand ces derniers s'évadent, n'obéir qu'à des ordres,
sont, soient éliminés, soient lâchés dans la nature où ils ont
du mal à survivre, car, comme nous l'explique Rouslan (car c'est à
travers lui que cette histoire est racontée), il ne répond qu'à
des ordres et n'accepte pas la nourriture donnée par une main
étrangère. Comment voulez-vous qu'ils survivent ! Ils vont
probablement devenir des chiens errants, qui vont pour se nourrir
devoir chasser (des mulots seront la seule nourriture que Rouslan
réussira à trouver) ou bien se laisser mourir de faim.
Par
l'intermédiaire de flashbacks, l'auteur revient sur la vie dans le
camp, et nous montre, toujours par les yeux des chiens, comment
s'organise cette vie. De ces flashbacks, je retiendrai une scène :
celle de l'instructeur, qui entraîne les chiens : un jour, son
chien préféré, Ingouss, va être le déclencheur d'une émeute
parmi les chiens. Tout ça à cause d'un tuyau d'arrosage que
Ingouss attaque, le prenant probablement pour un serpent et qu'il ne
veut pas lâcher. Les gardes vont tout faire pour qu'il lâche prise,
en pure perte. Quand il réussiront, c'est au tour de tous les autres
chiens de s'en prendre au pauvre tuyau, toujours en mouvement, de par
la pression d'eau. Pendant ce temps, Ingouss, le chien perturbateur
est emmené hors du camps et ne reviendra pas : il sera abattu
d'une balle.
L'instructeur
de chiens ne s'en remettra pas et deviendra fou : il va se
comporter de plus en plus comme un chien, allant jusqu'à aboyer et
courir à quatre pattes, comme si l'âme d'Ingouss avait investi son
corps. Ce pauvre instructeur finira dans le box du chien disparu où
les gardes l'auront enfermé, puis quittera le camp définitivement.
Cette
scène, vu par le regard du fidèle Rouslan, est vraiment déchirante
(et en même temps d'une violence poétique inimaginable), mais elle
ne sera pas la seule.
Dans
ce roman également, l'auteur nous parle de la fidélité des
chiens : malgré que Rouslan a recouvré sa liberté, qu'il a,
de plus, été trahi par son maître (d'une manière que je vous
laisse découvrir), il va pourtant rester fidèle à sa fonction et
au Service. Chaque jour, il se rendra à la gare pour attendre le
prochain train de prisonniers, qui n'arrive pas. Il va alors se
retrouver à vivre chez une vieille femme Stioura, qui héberge « Le
Rapé », un ancien prisonnier. Rouslan va alors se mettre en
tête qu'il doit surveiller ce prisonnier, qui devient alors « son
prisonnier ».
Pourtant,
tous les autres chiens du camps, ont repris un semblant de vie alors,
essayant de se débrouiller par tous les moyens. Pas Rouslan.
Rouslan
est probablement l'un des personnages qui m'a le plus bouleversé
depuis longtemps. Sa fidélité, son engagement, ses espoirs de
reprendre la vie comme avant, m'a fait me poser des questions sur la
condition des bêtes. Les derniers chapitres du livre montre une fois
encore la bêtise des hommes et la cruauté de ceux-ci sur des chiens
que l'on a entraîné à garder et surveiller. Je ne vous cache pas
que la fin du roman m'a fait verser quelques larmes.
Voilà
un roman russe admirable : véritable dénonciation du système
soviétique, du milieu concentrationnaire, il nous livre, de manière
glaciale, comme le froid qui sévit tout au long du roman, la vision
d'un monde absurde, où les animaux ne sont pas ceux que l'on croit.
Un roman qui donne également la « parole » aux chiens,
de manière poignante, même si l'univers décrit fait froid dans le
dos. Un roman avec l'un des personnages les plus beaux qu'il m'ait
été donné de rencontrer : Le Fidèle Rouslan, dont je vous
encourage à faire la connaissance, à travers ce roman russe que les
éditions Belfond ont eu la belle idée de rééditer.
Merci
à Brigitte (qui encore une fois a fait mouche), et aux Editions Belfond pour ce fascinant voyage russe, vécut à travers le regard
d'un chien, le plus fidèle des animaux.
Gueorgui
Vladimov : Le Fidèle Rouslan, (Vernyi Ruslan),
Belfond, 274 pages, 1978 (pour la traduction française aux Editions
du Seuil), 2014, (pour la présente édition).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire