lundi 13 janvier 2014

Le Fidèle Rouslan (Belfond Vintage Saison 2, Volume 7)

4e de couverture: A travers le portrait de Rouslan, chien de garde dans un goulag, Gueorgui Vladimov livrait un brulôt, description aussi fascinante que glaçante de l'enfer concentrationnaire et, au delà, de l'atroce absurdité du système soviétique. Ecrit au début des années 1960, publié clandestinement en Allemagne en 1973 par une maison d'édition fondée par des réfugiés russes, puis en France en 1978, au Seuil, Le fidèle Rouslan ne paraîtra en URSS qu'après la perestroïka. 

Un temps attribué à Soljenitsyne, un chef-d'oeuvre à redécouvrir, par un des grands dissidents russes, injustement méconnu. 


Depuis Janvier 2013, les Editions Belfond ont décidé de remettre à l'honneur de grands romans qui ont eu du succès en leur temps mais qui sont un peu oubliés aujourd'hui, et de les rassembler dans une collection. Voici comment est né la Collection « Belfond [Vintange] ».
« Le Fidèle Rouslan » de Gueorgui Vladimov est le 7e titre à paraître dans cette collection, en ce mois de janvier 2014.

Roman phare d'un auteur russe, qui m'était complètement inconnu, je l'avoue (en même temps, comme auteurs russes je ne connais que Tolstoï, Dostoïvski et Pouchkine (pour ce dernier, je le connais plus que de nom puisque j'ai lu il y a deux ou trois ans, « La Fille du Capitaine) : des auteurs classiques) , « Le Fidèle Rouslan », m'a de suite intrigué quand je l'ai tenu entre mes mains. Puis, cela me permettrait de découvrir plus avant la littérature russe contemporaine.

Ce petit roman m'a complètement captivé : Gueorgui Vladimov raconte l'enfer des goulags à travers les yeux d'un chien de garde. Le lecteur est alors à hauteur d'animal pour découvrir un monde sans pitié.
L'auteur dénonce le côté barbare des camps, mais fustige également le petit Père des peuple, Staline, dans un monologue cinglant et sans concession, tenu par « Le Rapé », ancien prisonnier du goulag où officiait Rouslan.

Avant, d'aller plus loin, il faut quand même que je précise, qu'au début du roman le camp où vit Rouslan, vient d'être fermé et que les chiens, qui ne servent désormais plus à rien, puisqu'il n'y a plus rien à défendre et à garder, doivent être éliminé Sauf que le Maitre de Rouslan y renonce et libère tous les chiens, qui vont alors se retrouver à errer dans le village, ne sachant pas comment continuer à vivre.

C'est probablement cela qui m'a le plus énervé : ces chiens entraînés pour une seule chose : surveiller des prisonniers, les ramener quand ces derniers s'évadent, n'obéir qu'à des ordres, sont, soient éliminés, soient lâchés dans la nature où ils ont du mal à survivre, car, comme nous l'explique Rouslan (car c'est à travers lui que cette histoire est racontée), il ne répond qu'à des ordres et n'accepte pas la nourriture donnée par une main étrangère. Comment voulez-vous qu'ils survivent ! Ils vont probablement devenir des chiens errants, qui vont pour se nourrir devoir chasser (des mulots seront la seule nourriture que Rouslan réussira à trouver) ou bien se laisser mourir de faim.

Par l'intermédiaire de flashbacks, l'auteur revient sur la vie dans le camp, et nous montre, toujours par les yeux des chiens, comment s'organise cette vie. De ces flashbacks, je retiendrai une scène : celle de l'instructeur, qui entraîne les chiens : un jour, son chien préféré, Ingouss, va être le déclencheur d'une émeute parmi les chiens. Tout ça à cause d'un tuyau d'arrosage que Ingouss attaque, le prenant probablement pour un serpent et qu'il ne veut pas lâcher. Les gardes vont tout faire pour qu'il lâche prise, en pure perte. Quand il réussiront, c'est au tour de tous les autres chiens de s'en prendre au pauvre tuyau, toujours en mouvement, de par la pression d'eau. Pendant ce temps, Ingouss, le chien perturbateur est emmené hors du camps et ne reviendra pas : il sera abattu d'une balle.
L'instructeur de chiens ne s'en remettra pas et deviendra fou : il va se comporter de plus en plus comme un chien, allant jusqu'à aboyer et courir à quatre pattes, comme si l'âme d'Ingouss avait investi son corps. Ce pauvre instructeur finira dans le box du chien disparu où les gardes l'auront enfermé, puis quittera le camp définitivement.
Cette scène, vu par le regard du fidèle Rouslan, est vraiment déchirante (et en même temps d'une violence poétique inimaginable), mais elle ne sera pas la seule.

Dans ce roman également, l'auteur nous parle de la fidélité des chiens : malgré que Rouslan a recouvré sa liberté, qu'il a, de plus, été trahi par son maître (d'une manière que je vous laisse découvrir), il va pourtant rester fidèle à sa fonction et au Service. Chaque jour, il se rendra à la gare pour attendre le prochain train de prisonniers, qui n'arrive pas. Il va alors se retrouver à vivre chez une vieille femme Stioura, qui héberge « Le Rapé », un ancien prisonnier. Rouslan va alors se mettre en tête qu'il doit surveiller ce prisonnier, qui devient alors « son prisonnier ».
Pourtant, tous les autres chiens du camps, ont repris un semblant de vie alors, essayant de se débrouiller par tous les moyens. Pas Rouslan.

Rouslan est probablement l'un des personnages qui m'a le plus bouleversé depuis longtemps. Sa fidélité, son engagement, ses espoirs de reprendre la vie comme avant, m'a fait me poser des questions sur la condition des bêtes. Les derniers chapitres du livre montre une fois encore la bêtise des hommes et la cruauté de ceux-ci sur des chiens que l'on a entraîné à garder et surveiller. Je ne vous cache pas que la fin du roman m'a fait verser quelques larmes.

Voilà un roman russe admirable : véritable dénonciation du système soviétique, du milieu concentrationnaire, il nous livre, de manière glaciale, comme le froid qui sévit tout au long du roman, la vision d'un monde absurde, où les animaux ne sont pas ceux que l'on croit. Un roman qui donne également la « parole » aux chiens, de manière poignante, même si l'univers décrit fait froid dans le dos. Un roman avec l'un des personnages les plus beaux qu'il m'ait été donné de rencontrer : Le Fidèle Rouslan, dont je vous encourage à faire la connaissance, à travers ce roman russe que les éditions Belfond ont eu la belle idée de rééditer.

Merci à Brigitte (qui encore une fois a fait  mouche), et aux Editions Belfond pour ce fascinant voyage russe, vécut à travers le regard d'un chien, le plus fidèle des animaux.

Gueorgui Vladimov : Le Fidèle Rouslan, (Vernyi Ruslan), Belfond, 274 pages, 1978 (pour la traduction française aux Editions du Seuil), 2014, (pour la présente édition).


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