samedi 28 août 2021

Rentrée Littéraire 2021 #5: Campagne

 

Résumé: « Quoi que l'on fasse, de quelque partie que l'on vienne, le village se cache, ne se montre pas de loin. C'est un village tout plié sur lui-même, en boule la tête dans le cul, comme un chat endormi. Au milieu coule une rivière. C'est-à-dire qu'elle était au milieu, avant qu'il soit désaxé, le village, étendu vers le sud pour les nouvelles constructions. Ici, au village, on en trouve comme cela, qui disent à présent qu'il faut sauver la Terre. Sauver la Terre, je veux bien moi, mais qui nous sauvera, nous ? »


De jeunes citadins, pétris de certitudes, se sont installés dans un village de la France profonde afin d'y organiser une « grande fête participative ». Entre eux et les paysans, le choc est inévitable, le drame annoncé

Le 2e roman de Matthieu Falcone parle d'un sujet dans l'air du temps: le retour à la nature et à la terre, avec en fond la confrontation entre les gens issus de la terre depuis des générations et les citadins qui font ce retour à la terre. 

Campagne (qui donne son titre au roman) est probablement le lieu où se déroule l'histoire. (une commune en Dordogne se nomme bien Campagne) Un lieu où il doit faire bon vivre et où la vie se déroule paisiblement...enfin, ça c'était avant que des citadins décident de s'y installer pour retrouver le goût et le besoin de la terre comme Julien ,le jardinier poète, ou Cédric, le scientifique qui est venu vivre dans ce village avec femme et enfant pour se reconvertir dans le Bio. Puis, il y a aussi les gens du pays comme Le Fou, la soixantaine qui a un pied bot et qui se retrouve régulièrement au bar du village tenu par François, un petit gars venu de la ville également, où il boit avec son ami Robert, le narrateur de cette histoire. 

Dès les première pages, j'ai aimé entendre la voix de ce narrateur bienveillant qui nous raconte sa campagne et ces habitants. Tous ont quelque chose d'affectueux en eux, que ce soit Le Fou, Julien, le poète jardinier, Cédric et sa femme Martha, qui décident d'élever leurs enfants loin de l'Education Nationale, et même Méline, jeune mère célibataire un peu paumée mais qui essaye de faire tout son possible pour son fils, même si elle voudrait du temps pour elle. 

Matthieu Falcone dresse le portrait de ce nouveau monde rural qui a vu débarquer des gens de la ville qui rêvaient d'un retour à la nature, qui ne pensent qu'écologie, et le vivre ensemble, sauf que derrière tout ça se cache surtout de la pensée un peu moralisatrice et de l'individualisme. L'auteur aurait pu saupoudrer son roman de cynisme sauf que son narrateur, Robert, à la bienveillance chevillée au corps et ne juge pas autrui. Alors, attention, ce n'est pas le pays des bisounours et les petites piques sont parfois lancées par Robert. En fait, ce livre est plein de lucidité sur cette nouvelle campagne qui voit s'affronter deux mondes: le monde rural installé depuis plusieurs générations et qui a toujours cultivé la terre, et les citadins, souvent jeunes, venu s'installer dans ces campagnes pour retrouver une vie saine. Sauf que ces deux mondes n'arrivent pas forcément à coexister. 
Le roman déroule le fil des saisons tranquillement en nous dressant le portrait de ses personnages jusqu'à cette fameuse fête du partage qui va tout changer à jamais. Et je vous assure que même si je m'attendais à l'évènement tragique qui arrive vers la fin du roman, j'ai été tout de même estomaqué. Puis,  ce final frustrant qui laisse un goût amer en bouche, même après avoir fermé le livre.

Campagne est un roman charmant de par ses personnages sympathiques comme Robert, le Fou, Cédric et Martha, mais qui se dirige vers un drame cruel et frustrant de par sa non recherche de vérité, même si au final, en y repensant, je me dis que la vérité n'est pas si importante à révéler. Un roman sur le monde rural d'aujourd'hui criant de vérité qui m'a laissé un goût amer dans la bouche, bien après avoir refermé le livre. 

"De nos jours, on a une vision fantasmée de la nature, de ce qu'on s'en est trop éloignés. Quand je dis on, je parle pour la plupart, qui vivent là haut dans les villes. On imagine les forêts comme des lieux qu'il faudrait laisser vierges de toute mains d'homme. On prétend que la nature n'a pas besoin de nous. Mais si nos forêts partent en fumée, c'est parce qu'on les laisse pousser sans les soigner. [...]on veut aussi interdire la chasse, sans se rendre compte que les chasseurs nous délivrent du gibier qui broutent nos arbres, qui se frotte aux jeunes troncs et, finalement les assassine. On voudrait les loups et que les bergers s'en aillent, parce qu'ils font du mal aux petits agneaux. On dit que c'est pour la nature, maison juge tout par rapport à nous. Comme si les bêtes pensaient de même que nous. (p.66-67)

Matthieu Falcone: Campagne, Albin Michel, 299 pages, 2021



jeudi 26 août 2021

Rentrée Littéraire 2021 #4: La Splendeur et l'infamie

 

Résumé: 10 mai 1940. Le jour où Churchill est nommé Premier ministre, Adolf Hitler envahit les Pays-Bas et la Belgique. Au cours de l’année qui suit, l’Allemagne nazie mène contre l’Angleterre une campagne de bombardement d’une intensité inédite. Acculé, le « Vieux Lion » doit préserver à tout prix le moral de son peuple… et convaincre le président Roosevelt d’entraîner les États-Unis dans la guerre.

Si durant cette période la vie publique de Churchill est chaotique, sa vie privée ne l’est pas moins.

L'idée de ce livre est venu à Erik Larson il y a quelques années. Il venait de s'installer à Manhattan et il prenait conscience de ce qu'avait pu vivre les habitants de New York après les attentats du 11 septembre 2001. De suite, il a repensé à ce qu'avait dû vivre les anglais en 1940 lors des attaques incessantes des allemands durant plusieurs nuits, suivis de plusieurs raids six mois plus tard, et se demandait comment ils avaient pu le supporter. C'est ainsi qu'une figure tutélaire s'est imposée à lui: Winston Churchill. 

Voilà le point de départ d'un livre totalement génial. 680 pages de pur bonheur qui nous plonge complètement dans l'attente des bombardements, et dans l'action. Ce livre va raconter la première année de fonction de Winston Churchill en tant que premier ministre de l'Angleterre. Erik Larson va alors nous dresser le portrait d'un homme entêté, courageux, parfois même téméraire, qui s'est battu bec et ongles pour que l'Angleterre ne tombe pas aux mains des allemands. 
Le côté politique est très présent, c'est vrai et parfois on pourrait se sentir submergé d'informations, mais la plume d'Erik Larson (très bien retranscrite par Hubert Tezenas qui a fait un travail de traduction formidable), rend cela très fluide et surtout très addictif. 

Malgré l'épaisseur du livre (près de 700 pages), je ne me suis pas ennuyé une seule minute et j'ai tourné les pages s'en m'en rendre compte. L'auteur réussit le pari de nous raconter la bataille d'Angleterre, à la manière d'un thriller, qui en fait un page-turner addictif à  va vous couper le souffle. Il nous immerge complètement dans cette ville de Londres qui va connaitre des heures d'angoisse très sombres. 

Ce que j'ai aussi beaucoup apprécié, c'est la sphère privée de Winston Churchill. Si la partie politique prend une grande part dans le livre, entre réunion d'informations, de préparations d'attaques et de défense, il n'oublie pas la sphère privée de Winston Churchill. Ainsi, une grande place est donné à sa fille Mary, 18 ans, qui voudra elle aussi participer à l'effort de guerre, au grand dam de sa mère. Mary sera aussi le témoin de la première année de son père au pouvoir exécutif et nous fera partager son ressenti sur le tempérament du Vieux Lion. 
Un autre personnage aura aussi son importance: John Colville, l'un des conseillers du premier ministre, qui nous fera partager les secrets d'alcôve, sans oublier de nous parler également de sa vie amoureuse chaotique, mais fort touchante. 

Dans ce livre, fort complet, sur cette période, Erik Larson, nous parle certes, de l'Angleterre durant l'année 1940-1941, avec les protagonistes qui ont contribué à cette période (de Winston Churchill, en passant par Beaverbrook, conseiller et ami de Churchill, Lindemann, scientifique qui contribua à la défense du pays, Colville, cité plus haut...) mais il n'en oublie pas pour autant de nous parler des autres participants de cette période charnière, du côté allemand, avec Hitler, Göring, en charge de l'attaque contre les Anglais, de Goebbels, responsable de la propagande du parti nazi...) mais aussi du côté américain avec Roosevelt, Hopkins, et Harriman, qui auront une part importante dans la "séduction" que Winston engage pour que les Etats Unis entre dans la guerre. 

Pour son livre, Erik Larson s'est appuyé sur beaucoup de documents souvent inédits, comme des minutes et notes confidentielles que prenaient Churchill, de journaux intimes: ceux de Mary Churchill, John Colville, et Göring entre autres. C'est ainsi qu'il va insérer dans sa narration, des extraits de journaux des protagonistes de l'Histoire, pour faire ressentir au lecteur ce qu'ils ont vécu et ainsi nous immerger dans cette période terrible de l'Histoire. Il rend tout cela très fluide et très immersif. On tremble pour eux, on sourit quelquefois, car la vie continue tout de même malgré les bombardements. C'est totalement génial et le seul regret que je pourrais avoir, c'est que ce soit déjà fini. Oui, malgré la grosseur du livre, j'aurai voulu que l'auteur nous raconte la suite de cette première année (alors il le fait dans un Epilogue de quelques pages...sniff)
Je vous rassure, il ne manque rien dans ce livre, il est complet et très riche d'informations, qui vous surprendra jusqu'à la dernière page. Ma frustration est simplement là pour dire que j'ai tellement aimé ce livre, qu'il aurait pu durer encore des pages et des pages. 

Ce "Splendeur et l'infamie" est un livre à ne pas manquer. Basé sur des faits  historiques, bien documenté,  écrit comme un thriller, au style rythmé et fluide, très addictif (l'auteur est bien romancier et ça se ressent!) , il séduira tous les amoureux d'Histoire, mais également les autres qui seront surpris de se retrouver plonger dans une intrigue angoissante, et forte en suspense. Je vous assure qu'une fois commencé, vous ne pourrez plus le lâcher. Où comment s'instruire en s'amusant follement. 

Merci aux Editions du Cherche-Midi pour cette découverte passionnante. 

Erk Larson: La Splendeur et l'infamie, (The Splendid & the Vile), Editions du Cherche-Midi, 680 pages, 2021



 

dimanche 22 août 2021

Rentrée littéraire 2021 #3: Tableau final de l'amour

 

Quand votre libraire, qui connait parfaitement vos goûts, vous mets dans les mains un livre, en vous disant seulement: "celui ci, c'est un peu particulier mais je suis sûr qu'il vous plaira", je suis persuadé que comme moi, vous repartez avec, sans lire le résumé...car vous faites confiance à votre libraire. 

C'est ce qui m'est arrivé, pas plus tard que vendredi quand j'ai parlé avec ma libraire des livres de la rentrée littéraire et de ceux qui lui avaient plu et qu'elle pouvait me conseiller. Elle m'a tendu le dernier roman de Larry Tremblay en me disant seulement la phrase citée plus haut, sans me parler de l'histoire, ni rien du tout. Comme le livre est tout petit, j'ai préféré repartir avec le livre sous le bras sans rien me dévoiler de l'histoire. Je sais, c'est risqué, mais comme il est conseillé par ma libraire et que je lui fais confiance les yeux fermés, j'aime bien faire ça de temps en temps: . Partir vierge de toute information. Plonger dans le livre sans savoir vers quoi il va m'emmener. 

Alors, je vous avoue qu'il m'a fallut une dizaine de pages pour savoir où l'on est. Je vais toutefois essayé de vous dire à peu près le propos du livre sans trop en dire. 

Ce livre va revenir sur la vie du peintre Francis Bacon, son rapport à l'art et sa relation avec l'amant qui lui a servi de modèle. Francis Bacon s'adresse donc à ce petit voleur qui est venu  voler dans son atelier une nuit où le peintre y dormait. Il lui raconte des pans de sa vie et les livre sans fard. 

C'est un roman fabuleux que ce Tableau final de l'amour. Un roman sur l'art, la violence qu'elle peut engendrer, la violence qui nourrit l'artiste qu'était Francis Bacon pour pouvoir créer. Un roman qui parle des relations complexes entre père et fils mais aussi entre deux amants. Un roman qui retrace sans fard et avec crudité et cruauté parfois, la vie tumultueuse de cet artiste adulé de son vivant, mais également incompris. 

La plume poétique de Larry Tremblay, interpelle le lecteur avec cette voix peu singulière, avec crudité parfois, où un érotisme flamboyant nous est jeté au visage, sans toutefois être salace. En tout cas, j'ai trouvé cela très beau et charnel. Surtout, la voix de Francis Bacon nous transperce le coeur jusqu'à cette fin tragique qui ne pourra pas vous laisser indifférent. 

Ce Tableau final de l'amour est un petit joyau qui revient sur la vie d'un artiste adulé de son vivant, mais également incompris et que certains prenaient pour un dégénéré. Un roman qui parle de l'art, de la création,  de la violence dont Francis Bacon avait besoin pour faire ressortir sur la toile tout ce qu'il avait à l'intérieur de lui. Un roman qui parle également d'une belle histoire d'amour compliquée entre deux hommes qui ne savaient s'aimer que dans une certaine violence. C'est beau, c'est incandescent, c'est tragique, comme le titre superbe de ce livre qui résume tout. J'en suis encore tout retourné. 


Larry Tremblay: Tableau final de l'amour, La Peuplade, 200 pages, 2021







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samedi 21 août 2021

Le bruit du rêve contre la vitre

 

Résumé: « Sandra doit arriver d’une minute à l’autre. Il faut qu’elle se dépêche car derrière la vitre, il y a le soleil bleu, la mer jaune et les étoiles violettes qui s’impatientent, il y a cette vie bourdonnante qui attend qu’on la libère, il y a ces rêves qui frappent au carreau et craignent de mourir emprisonnés. Alors épuisé mais heureux, je désigne la fenêtre. L’infirmière comprend et me sourit. Lorsqu’elle tourne la poignée, le vent impatient s’engouffre dans cette chambre close et renverse les fleurs. Le vase explose sur le sol. Et dans les morceaux épars répandus aux quatre coins de la chambre, la lumière du soir se réfléchit et nous fait plisser les yeux. »


Douze nouvelles sur le confinement, le Covid-19 et cette époque trop sûre d’elle-même qu’un virus a balayée.

Axel Sénéquier, "l'auteur qui me fait aimer les nouvelles" est revenu cette année avec un 2e  recueil dont les nouvelles ont pour point commun, le confinement que les français ont vécu l'année dernière. 

Alors, oui, je sais, lire des histoires qui parlent de ce que l'on a vécu, comme un drôle d'évènement pas très sympathique en 2020 n'est pas très réjouissant et ne fait pas rêver. Seulement, c'est mal connaître Axel. De ce point de départ, il va construire des histoires qui parlent de nous, de  l'intime, suivant toutes les situations que le confinement nous a fait vivre: les parents dépassés par leurs enfants pour leur faire l'école ("le chemin de l'école"), les violences conjugales qui ont été exacerbées par la promiscuité (la percutante nouvelle "Les murs porteurs" qui ouvre le recueil), le départ de parisiens vers leurs résidences secondaires à la campagne (étonnante et énervante nouvelle "Intégration"), la solitude des personnes âgées (Epoustouflante "Marée noire"), le retour de la nature (vibrante et finalement navrante par sa conclusion "Sauvage"), la situation dans les EPADH (touchante et émouvante "Somnambules) mais aussi, ces malades du covid qui ont été les premières victimes de cette nouvelle maladie (belle  nouvelle qui donne son titre au recueil "Le bruit du rêve contre la vitre"). 

En parlant de toute ces situations, Axel réussit le tour de force de parler de nous avec acuité, sensibilité et compassion, sans jugement. Il affine les portraits de ces français qui ont vécu cette drôle d'époque que fut le premier confinement, avec poésie, tendresse, et une petite pointe de cynisme parfois (comme dans "Intégration" ou "Fashion faux-pas") sans oublier d'y peindre une touche de psychologie. Cette psychologie qui donne du relief à ses personnages. En une dizaine de pages, Axel nous raconte des histoires qui nous sont probablement arrivées, et réussit le tour de force de les raconter avec peu de pages mais sans cette sensation de trop peu. Chaque histoire se suffit à elle-même et sa fin ne nous laisse pas sur notre faim. On se laisse porter par ces galeries de personnages et leurs histoires qui sont un peu les nôtres. 

Avec ce merveilleux recueil "Le bruit du rêve contre la vitre", Axel Sénéquier laisse un témoignage vibrant, poignant, drôle, et souvent touchant, de cette drôle de période que fut le confinement de mars à mai 2020. Ses histoires, petits portraits de  cette vie quotidienne qui changea notre quotidien seront comme une trace, pour les générations futures de cette drôle d'époque où un virus bloqua, pour quelques mois toute une planète. Mais ne prendront t'ils pas cela pour de la fiction, tout droit sorti de la tête d'un auteur. Seul l'avenir nous le dira. 

Merci à Axel Sénéquier pour la découverte de ses histoires qui touchent au coeur. 

Axel Sénéquier: Le Bruit du rêve contre la vitre, Quadrature, 141 pages, 2021



jeudi 19 août 2021

Rentrée Littéraire 2021 #2: La Grande Vallée

 

Résumé: Quelque part dans les Alpes, la Grande Vallée bat au rythme des saisons. Dans les mois chauds de transhumance, accompagnant leurs bêtes sur les flancs de la montagne, les bergers savourent leurs joies pastorales au milieu de la nature intacte. Le tour d’horizon est somptueux, entre les neiges éternelles qui éblouissent le regard et le vert qui, plus bas, inonde les vallons.

Mais l’arrivée du Grand Batave trouble les cœurs : avec cet homme venu du Nord, c’est le village des Cent-Maisons qui s’industrialise, c’est la nature qu’on transforme. Tous ces bouleversements annoncent-ils vraiment, comme le croit Arno, le petit berger qu’on appelle le Merle, la mort des étoiles et la fin des chansons ?

Vendredi 13 août 2021, petit détour à la campagne, jusqu'à la nuit tombée. Là, je lève la tête et je me perds avec délectation dans le ciel étoilé. Et je me rends compte que cela faisait longtemps que je ne les avais pas vu, ces chers astres.  Etrangement, cette nuit là, je me suis endormi le coeur plein de plénitude. 

Pourquoi je vous raconte cette anecdote? Car, elle fait totalement écho au dernier livre d'Edouard Bureau: "La Grande Vallée". Attention, je vous préviens, nous sommes ici devant un OLNI (objet littéraire non identifié) ou plutôt, un texte qui revient a l'essence de ce qu'est un "vrai" roman, dans le sens romanesque. Ce roman est une pépite, un objet rare: celui qui rappelle les histoires de notre enfance. Ce roman est un bijou rempli de poésie: une fable moderne sur la nature et le combat que certains d'entre nous mène contre l'industrialisation, un livre  qui vous prendra au coeur et vous fera du bien, si vous réussissez à entrer dedans. 

L'histoire, c'est celle d'Arno, dit le Merle, et de son ami Belej dit la Barbe, deux chevriers qui partent en transhumance avec leur troupeau de chèvres, en ayant hâte de faire une halte au Col de Rosàjan, chez le Vieille Dania. On les suit alors dans leur trajet, au gré des saisons, de ce printemps qui se passe et de l'été qui s'annonce. Oui, mais voilà que dans la Grande Vallée, un Homme venu du Nord, que l'on nomme Le Grand Batave, vient proposer son aide aux habitants en leur proposant la Belle Industrie, le Progrès. C'est à ce moment là que le Merle décide de se lancer dans la bataille pour préserver la nature de ces chères montagnes. 

"La Grande Vallée" redonne au conte, et à la fable, ses lettres de noblesse. La plume d'Edouard Bureau est l'une des plus belle et poétique que j'ai pu lire. Pour vous dire, c'est la première fois que je mets autant de post-it dans un roman, pour retrouver certains passages qui m'ont plu. Sa plume m'a donné du baume au coeur, m'a émue aux larmes tellement c'est beau. Tenez, par exemple: 

"Quand je pense à ma vie, je ne vois pas d'ombrage, je ne vois qu'une lueur tranquille, oui, une calme lueur, c'est clair comme un soleil mais ça ne brûle pas, non: ça réchauffe simplement. Mon bonheur, ça n'est pas un zénith, ni la lumière aveuglante de l'après-midi. Mon bonheur est plutôt comme la fin d'une journée, comme ce moment où la terre est chaude, où l'on arrose les plantes pour qu'elles poussent, la fin d'une journée d'été, où l'on est bien, où l'on a bu de l'eau fraîche et où l'on est repu de chaleur. C'est très beau la fin d'une journée d'été. Oui, et mon bonheur et ma vie y ressemblent. " (p.29-30)

Je vous le dis, Edouard Bureau est un poète qui m'a charmé avec ses mots et avec ses personnages: le jeune Arno est d'une gentillesse et a une très belle âme. Son ami Belej est enthousiaste et impétueux et la vieille Dania est d'une sagesse infinie.
 
Alors, je préfère vous prévenir, la première partie du livre (qui fait une centaine de pages) est très contemplative: on suit les deux petits bergers dans les alpages lors de la transhumance et au gré des jours et des saisons qui passent. Le livre est d'une lenteur assumée, mais une lenteur pas chiante, attention: une lenteur qui fait du bien et qui ,en ces temps où tout va vite et où l'on ne prend plus le temps de vivre, il est bon de se laisser emporter et charmer par tout ce que nous offre la nature. Cette lenteur apporte un sentiment de plénitude qui fait du bien et nous reconnecte à la nature, sauf que, l'ombre menaçante du Grand Batave (le grand méchant de l'histoire) plane parmi ses pages de bien être. Honnêtement, je n'avais pas hâte que l'histoire s'emballe: j'étais bien parmi les chèvres et les cabris du Merle et de la Barbe (surtout que ces dernières nous font entendre leur pensée (quand je vous disais qu'on était dans une fable et/ou un conte!). C'est magnifique. 
Ensuite, dans les deux dernières parties, l'action est présente et l'histoire s'emballe avec l'affrontement entre le Merle (la nature) et Le Grand Batave (l'industrialisation), mais la lenteur revient parfois se glisser dans certains paragraphes pour nous laisser souffler. Mais on se laisse emporter jusqu'à une fin que je n'attendais pas, mais qui tout compte fait est d'une logique implacable. Mais d'une beauté sans pareille qui m'a fait monter les larmes aux yeux. 

Edouard Bureau redonne ses lettres de noblesse au roman "romanesque" et d'aventure, dans une fable écologique sur les bienfaits de la nature que l'homme a peu à peu oublié. Un conte magnifique qui vous fera rêver de grand air et de calme. Un livre qui vous donnera envie de mettre votre vie trépidante sur pause, le temps d'une transhumance en compagnie du Merle et de la Barbe. Une vraie pépite qui va se démarquer lors de cette rentrée littéraire, je le sens. Un vrai coup de coeur pour ma part que je vous encourage à découvrir. 

 (Allez, deux petits extraits pour la route et pour vous donner encore plus envie)

"Les hommes sont ainsi, se dit le Merle: en pleine lumière, ils sourient au soleil; ils aiment la chaleur et l'ombre indistinctement. Mais souvent les ténèbres les submergent. Les hommes ne pensent pas à battre en retraite ou à lutter, non, la plupart du temps, ils se contentent de pleurer leur plaisir disparu, le jour décliné. Mais, grand Dieu, pourquoi l'homme ne livre-t-il pas bataille contre l'obscurité? Est ce parce qu'il ne peut rien faire contre elle ou parce qu'il attend le jour suivant, qui sera rempli de beau temps? Ah que soient maudites l'inertie des hommes! leur faiblesse! leur paresse! (p.48)

"La voilà, la Grande Vallée: toute dans cette quête de l'harmonie, aimer l'hiver aussi fort que l'été, aimer les étoiles autant que le soleil! De hautes montagnes bouleversantes où le temps prend son temps. Nulle part ici bas, l'homme n'a contraint les heures, ni les jours, ni les saisons. (p. 282)

Merci aux Editions du Cherche Midi d'avoir redonné sa chance au roman de vraie fiction et aux romans d'aventures, avec cette nouvelle collection "Cobra" qui démarre fort avec "La Grande Vallée". 


Edouard Bureau: La Grande Vallée, Le Cherche-Midi (collection "Cobra"), 445 pages, 2021




 

Rentrée Littéraire 2021 #1: Traverser la foule

Résumé: « On traverse des foules toute sa vie, pour ne pas se perdre ou perdre des morceaux de soi. Je traverse la foule comme on traverse la vie, je contourne. »

Un jour comme un autre de décembre, Dorothée se confronte à l'indicible : le suicide de son mari, qui la laisse seule avec deux petites filles face à un gouffre d'incompréhension.
Tout ce qui entoure la mort est pénible, long, compliqué. Il faut attendre, répondre à des questions. Mais le deuil donne aussi le droit de s'affranchir des conventions. Dorothée veut qu'il éclate à la face du monde, elle veut rester qui elle est, une femme qui jouit. Pas seulement une veuve et une mère, mais une femme libre avec son imaginaire et son grain de folie. Alors, passés le choc, la colère et la douleur, elle prend ses émotions et ses enfants sous le bras, qui l'épuisent et la comblent. Les fantômes, elle les brûle.

 Attention, voilà un texte atypique qui risque d'en surprendre plus d'un! Dans ce récit touchant, d'une puissance évocatrice forte, sur un sujet qui pourrait tourner au larmoyant (le suicide d'un proche, et ici, de l'homme qui partageait la vie de Dorothée), Dorothée Caratini laisse sortir la peine qu'elle a au fond du coeur, comme une sorte de catharsis, un besoin urgent de se confier, avec force, courage et humour (car, oui, on sourit en lisant ce livre) sur ce qu'elle a vécut après le suicide de son compagnon. 


Il m'a fallu un petit peu de temps avant de savoir ce que j'avais ressenti durant la lecture de ce livre. J'ai été souvent déboussolé pendant ma lecture, par les différents styles d'écriture. En effet, Dorothée alterne, les narrations, entre la première personne qui la voit actrice de sa vie, comme le Prologue qui revient sur le moment où elle découvre le corps de Stéphane dans son salon. Un prologue fort, qui ne vous laissera pas indifférent, mais qui vous surprendra par un ton parfois caustique, et entre la 3e personne, qui la voit spectatrice d'un passé qu'elle a vécue et qu'elle se remémore, comme leur première rencontre. Le "tu" vient également s'immiscer dans la narration, comme un dialogue entre la narratrice/autrice et le disparu. 

Toutes ces narrations s'entremêlent pour donner un texte fort, troublant parfois, devant le choix de certains mots ou d'une narration percutante, donnant au texte une couleur musicale très rock'n'roll et punk. C'est un peu déconcertant, mais pas déplaisant. En fait, j'ai trouvé ce texte très vivifiant. En parlant du suicide et de la mort, Dorothée parle de la vie, et de celle qu'elle s'est construite avec ses deux filles. Et cette vie là est belle et flamboyante, malgré les obstacles que la vie nous met dans les pattes. 

En fait, j'ai été déconcerté lors de ma lecture, car je ne m'attendais pas à lire un texte aussi aboutit et atypique. On est touché, éberlué devant certains situations, ému par moments mais cela est  toujours contrebalancé par un style percutant qui vous met une claque, en vous disant: eh, c'est pas le moment de flancher, l'histoire (et la vie) continue. Reste attentif". En fait, j'ai aimé être surpris par ce livre.

Comme je vous le disais au début, "Traverser la foule" est un texte atypique, qui vous surprendra page après page. Un texte qui porte une voix nouvelle et percutante, très rock'n'roll dans la littérature française, et qui va plus loin qu'une auto-fiction. Il ne faut pas passer à côté.  De son histoire personnelle, Dorothée Caratini  en a sorti un livre et une voix non conventionnelle, qui risque de marquer la littérature française. 


Merci aux Editions Bouquins, pour la découverte de ce déconcertant "objet littéraire". 


Dorothée Caratini: Traverser la foule, Editions Bouquins, 200 pages, 2021




vendredi 13 août 2021

Malgré nous...

Résumé: Été 1988. Alors qu’ils sont en colonie de vacances, Théo, Maxime et Julien échappent à un terrible incendie. Entre eux désormais, ce sera « à la vie, à la mort ».
Vingt ans plus tard, l’expression va prendre tout son sens.
Et vous, jusqu’où iriez-vous par amitié ?


Le 2e roman de Claire Norton est une histoire addictive, sur l'amitié et sur l'acceptation du deuil. 

En choisissant ce roman, je pensais lire un roman estival (aidé en cela par sa couverture de plage qui nous annonçait de beaux moments de vacances). 

Alors, je vous le dis tout de suite, il n'en est rien! Mais c'est pas très grave, car ainsi, je ne savais pas dans quoi j'allais m'embarquer, et le résumé, fort concis, ne m'en apprenais pas plus et j'adore ça. 

Claire Norton sait trousser une histoire avec son lot de rebondissements et de coups de théâtre. Déjà, sa scène d'entrée (ces enfants, partis en colonie de vacances, qui se retrouvent coincés dans le bâtiment de la colo, en flammes, ça en jette et le lecteur est de  suite happé et ferré...et je n'ai pas pu lâcher le livre (ou alors à regrets). 

En revanche, je ne pensais pas que le livre allait partir, pour la suite  en direction d'un deuil et comment le protagoniste principal Théo, allait devoir vivre avec ça. En effet, l'histoire continue 20 ans après le fameux incendie. Théo et ses deux camarades Maxime et Julien (3 prénoms qui font  très feuilletons: j'avoue que je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux feuilletons quotidiens qui habitent nos trois premières chaînes de télé), ont continuer à se fréquenter. Mais voilà que Théo est en plein burn-out depuis quelques mois. Sa femme, Marine essaie de l'aider autant qu'elle peut, aider en cela par Maxime et Julien, les deux amis d'enfance. Tout se passe tant bien que mal jusqu'à ce qu'un drame surgisse et fasse tout basculer. 

Claire Norton va alors nous balader à travers les années, entre 2009 et 2014, pour nous embarquer dans une histoire addictive, avec son lot de cliffhanger de fins de chapitre et de retournement de situations. On ne s'ennuie pas une minute. Cependant, j'ai réussi a deviner vers quoi allait se diriger l'histoire, même si je ne voulais pas que cela se passe comme ça. 

Car oui, même si j'ai beaucoup apprécié ma lecture, un évènement du roman (que je ne  peux pas vous dévoiler sinon, ça vous gâcherait le suspense) m'a choqué. Oui, le mot n'est pas trop fort. Une phrase du résumé pose la question: "Et vous, jusqu'où iriez vous par amitié?" Je peux tout simplement répondre que je n'irai pas jusqu'à l'extrémité de Maxime. J'ai trouvé sa démarche complètement abject, même s'il le fait par amitié pour Théo. Non, là ,ce n'est vraiment pas passé. J'ai trouvé ce comportement vraiment immoral...mais l'auteure a voulu démontrer que certains peuvent aller très loin que ce soit par amitié ou par amour. 

Au final, un bon roman sur l'amitié et sur l'acceptation du deuil et comment se reconstruire après ça. Malgré la moralité de certains personnages qui ne sont pas passé avec moi, j'ai passé un très bon moment avec ce roman addictif, qu'on ne lâche pas une seule minute. Première incursion réussie dans l'univers de Claire Norton, et je pense que ce ne sera pas la dernière. 


Claire Norton: Malgré nous..., Pocket, 382 pages, 2020


  

 

dimanche 8 août 2021

Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage

Résumé: Écrit en 1969, le premier volume des mémoires de Maya Angelou (née Marguerite Johnson) raconte l’enfance d’une femme exceptionnelle, devenue une figure emblématique des États-Unis.

Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage est une oeuvre majeure de la littérature américaine du XXe siècle, un précieux témoignage qui explore les thèmes de l’identité, du racisme, de la résilience et de l’apprentissage du langage et de la littérature.

 (Source: Babelio)


Maya Angelou, écrivain, comédienne, chanteuse, danseuse...est une figure emblématique du combat pour la liberté du peuple noir. 


J'ai sorti ce livre de ma PAL sans relire le résumé (du moins avant de finir ma lecture) et j'ai bien fait, car le résumé me vantait une "histoire" de femme écrivain militante dans l'Amérique des années 60 (alors ce qu'est Maya Angelou, incontestablement) alors que ce livre raconte l'enfance et l'adolescence de Marguerite Johnson (qui deviendra Maya Angelou) dans le Sud profond des Etats Unis puis en Californie. Sa carrière d'écrivain est probablement relaté dans les autres volumes de son autobiographie mais pas dans celui-ci.  

J'ai aimé découvrir la vie de cette petite Marguerite. L'auteure décrit admirablement, avec puissance et sans complaisance la vie dans le Sud profond avec tout le racisme qui l'entoure. On a parfois envie de hurler devant l'injustice que vit les Johnson dans cette petite ville de Stamps...surtout quand on pense que Annie Henderson, la grand-mère de Marguerite, tient un magasin qui marche bien et qu'elle gagne correctement sa vie, et qu'elle se fait tout de même  humilier par des petiblancs, bien plus pauvres qu'elle...mais que par la force des choses, elle laisse faire. Je peux comprendre la révolte de Maya face à cette injustice et cette incompréhension. 

Maya n'a pas eu la vie facile, et son enfance est marqué par des moments très douloureux (déjà l'abandon par ses parents, qui l'envoient, elle et son frère, vivre chez leur grand-mère. La première scène du livre est hyper violente (son frère et elle, alors âgé de 3 et 4 ans sont laissé par leur père dans un train, à la charge d'un contrôleur qui   laissera  les enfants seuls, bien avant leur destination finale )  et donne le ton d'un livre sans concession qui ne nous épargnera rien). 

Alors, ma lecture s'est faite en deux temps qui n'ont pas la même saveur: j'ai adoré toute la partie dans le Sud, même si sa vie n'est pas rose, on sent que sa grand-mère et son Oncle Willie, le frère handicapé de son père qui vit encore chez sa mère, prennent soin d'eux et font face à l'adversité avec dignité. Bien sûr, j'ai ressenti toute l'amertume de Maya, mais aussi sa combativité...et surtout nous sommes dans les années 30 et le racisme est omniprésent. Cette lucidité et cette combativité m'ont beaucoup plu. En revanche, les parties où Maya et son frère retournent d'abord à Saint Louis, chez leur mère (où elle vivra un terrible évènement alors qu'elle est âgé de 8 ans) puis en Californie pour les protéger, m'ont moins emballé. Alors, ils sont tout autant intéressant, et les rapports entre son père et elle, distendues au possible, et entre sa mère, un peu plus présente, mais pas autant qu'elle le voudrait, montre bien l'abandon qu'elle a vécu et qui l'a fait grandir trop vite. On ressent cette douleur vive chez elle et Bailey, son frère, qui aura du mal à se remettre de l'abandon de sa "maman chérie". On ressent également ce besoin d'indépendance qui viendra très tôt chez eux. En même temps, ils sont souvent livré à eux même très jeunes. N'oublions pas qu'ils n'ont qu'une dizaine d'années. A la fin du livre, ils sont âgés de 17 et 18 ans, mais on a l'impression qu'ils ont déjà vécus mille vies.  

Non, franchement, c'est un livre remarquable qui fait bien comprendre au lecteur que tout se joue dans l'enfance: si la petite Marguerite n'avait pas vécu dans le Sud profond dans les années 30, si elle n'avait pas été noire, elle ne serait probablement pas devenue la femme militante qu'elle fut et qui se battit aux côtés de Martin Luther King et Malcolm X pour les droits des noirs américains. Un premier volume que je vous encourage à lire si  l'histoire de l'Amérique et le combat des afro-américains pour leurs droits vous intéressent. Un beau portrait de femme, que je serai curieux de continuer à découvrir avec un autre livre de Maya Angelou.  


Maya Angelou: Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage, (I know why the caged birds sing), Le Livre de Poche, 346 pages, 2008