lundi 29 novembre 2021

L'enfant du silence

 

Résumé: Un enfant de quatre ans, de race blanche, a été retrouvé sur la réserve indienne des Barona, dans une bâtisse inhabitée, à cinq heures trente du matin. Il était attaché à un matelas par une corde à linge.

Bo Bradley, du service de protection de l'enfant, a été chargée de son dossier. Pourquoi était-il attaché, et la personne qui l'a mis là avait-elle l'intention de revenir ? Bo découvre que l'enfant est sourd, et s'attache à lui.
Mais, bientôt, des tueurs surgissent à l'hôpital où est soigné le rescapé et cherchent à le tuer. Bo engage alors une course contre la montre pour découvrir quelle malédiction pèse sur l'enfant et essayer de le sauver.

Les Editions Rivages ont la belle idée de rééditer certains romans de leur catalogue qui sont probablement difficile à trouver. 
C'est le cas pour cet "Enfant du silence" sorti en 1995 et que Rivages a republié en octobre 2021. Ce fut alors l'occasion pour moi de découvrir le premier roman d'Abigail Padgett (mais aussi 1er volet de la série "Bo Bradley"). 

Je dois dire que j'ai passé un agréable moment avec ce roman. L'enquête, même si très classique (pour vous dire, j'ai même compris la clé du mystère bien avant de la découvrir dans le livre) est fort bien menée par l'autrice du début à la fin. L'écriture est rythmée et nous fait tourner les pages rapidement. Non, il n'y a pas à dire, ce livre fait le taf, même si ce n'est pas original dans l'intrigue.
Mais attention, l'originalité se cache ailleurs  et est très réussie. Ce qui fait l'originalité de ce livre c'est son héroïne et le milieu professionnel dans lequel elle évolue: en effet, Bo Bradley est enquêtrice pour les services de protection de l'enfance et se retrouve avec l'affaire d'un petit garçon de 4 ans retrouvé dans une cabane, attaché à un matelas. Je trouve que c'est une très belle idée que de nous montrer l'envers du décor d'un milieu pas trop exploité dans les policiers et les thrillers. Un bon point pour Abigail. 

Mais ce qui retient l'attention, c'est également Bo et le fait qu'elle soit atteinte de dépression (elle est maniaco-dépressive) et doit gérer se affaires ainsi que sa maladie et son passé qui revient la hanter (sa soeur Laurie, sourde à mis fin a ses jours, il y a plusieurs années. Le fait que le petit garçon retrouvé et sa soeur partage cet handicap la ramène vers ses démons intérieurs). 
L'autrice réussit très habilement à nous immerger dans la tête de son héroïne, ce qui fait de ce roman un pur thriller psychologique de très bonne facture. La surdité est également très bien traité par l'autrice entre l'absurdité et les préjugés des uns et l'aide et l'empathie de certains concernant le petit garçon. , Ainsi, le petit Weppo (le gamin retrouvé) trouve sa place dans ce roman très facilement. De plus, le rapprochement progressif entre le Dr Andrew et Bo est très prometteur pour la suite.
Et pour finir, dernière originalité: le choc des cultures avec le personnage d'Annie, une indienne de la tribu des Paiutes, qui découvre le petit Weppo. L'autrice encore une fois maitrise son sujet et nous fait découvrir, par petites touches, cette culture indienne qui fait aussi le charme de l'Amérique.  

Comme vous pouvez le voir, ce thriller psychologique a débuté une petite série de manière fort prometteuse, qui donne envie de découvrir les autres tomes de la saga. L'enquête est classique mais tous les à côtés (une héroïne torturée, le handicap et les indiens Paiutes) rattrape le tout avec originalité, sur un rythme soutenu qui nous fait passer un très bon moment de lecture. Alors, laissez vous tenter par cette réédition. 

Merci aux Editions Rivages pour la découverte de cette série prometteuse. 

Abigail Padgett: L'enfant du silence, (Child of silence), Rivages, 269 pages, 1995 (pour la 1ere édition), 2021 (pour la nouvelle édition)



samedi 27 novembre 2021

Le Roi disait que j'étais diable

 

Résumé: Depuis le XIIe siècle, Aliénor d'Aquitaine a sa légende. On l'a décrite libre, sorcière, conquérante : « le roi disait que j'étais diable », selon la formule de l'évêque de Tournai. Clara Dupont-Monod reprend cette figure mythique et invente ses premières années en tant que reine de France au côté de Louis VII. Des noces royales à la deuxième Croisade, du chant des troubadours au fracas des armes émergent un Moyen Âge lumineux, qui prépare sa mue, et la reconstitution d’un amour impossible.


J'ai profité de la venue de l'autrice, Clara Dupont Monod, dans une librairie de ma ville, pour une rencontre à propos de son dernier livre "S'adapter" pour me plonger dans l'un de ses précédents romans, "Le Roi disait que j'étais diable". 

Etant un grand admirateur d'Aliénor d'Aquitaine (en même temps, comme m'a dit Clara Dupont Monod hier soir, pour un Poitevin, cela n'a rien d'étonnant), je ne pouvais pas passer à côté de ce livre, n'est il pas. 

De Clara Dupont Monod, j'avais lu, il y a dix ans, "La Passion selon Juette", dans lequel j'avais eu du mal à m'immerger, mais qu'au final j'avais aimé (j'en ai d'ailleurs profité pour relire l'histoire de Juette cette semaine, que j'ai encore plus apprécié lors de cette relecture), il aura fallu cette rencontre pour me plonger à nouveau dans son univers médiéval. 

Et que dire...

J'ai adoré ce roman sur Aliénor! J'ai aimé l'ambiance de ce Moyen Âge auquel Clara redonne toute sa noblesse et ses couleurs surtout (car oui, l'époque médiévale n'était pas si sombre qu'on le dit, il était vivant, plein de couleurs chatoyantes, de chants, mais aussi de femmes fortes). Et Aliénor en est un bon exemple. 

Ce roman va se focaliser sur la période du mariage d'Aliénor et de Louis VII, son premier mari, donc sur une quinzaine d'années (eh oui, il est parfois bon de faire des choix car raconter toute la vie d'Aliénor, prendrait plusieurs volumes (la grande dame a vécut plus de 80 ans!). Surtout, Clara Dupont Monod va retrouver le style de "La Passion selon Juette", celui de donner des voix à ses personnages...et ici, elle se "met dans la peau" d'Aliénor et de Louis son mari...mais pas que (mais j'y reviendrai plus tard). Elle donne ainsi à entendre la voix forte, rempli de colère et de conviction de cette reine, qui prend son destin en main,  quitte à se mettre l'église à dos, qui ne trouve pas son bonheur dans les bras de ce mari à la vie monacale (en même temps ce cher Louis, était destiné à la prêtrise et non à régner), mais aussi à donner la parole à Louis, roi très pieux qui ne réussira pas à se faire aimer d'Aliénor. 

Comme j'ai aimé entendre ces deux voix, car cela m'a permis de me sentir proche de Louis et d'avoir de la compassion pour lui (et parfois de l'incompréhension devant le comportement d'Aliénor à son égard, même si je l'admire). 

Ainsi, cahin caha, Clara défile l'histoire de ce couple qui n'arrive pas à se trouver, entre intrigue de cour, bataille de pouvoir, jusqu'à cette fameuse croisade à Jérusalem! A mon plus grand étonnement, je pense que cette dernière partie est ma préférée. J'ai adoré sentir l'ambiance et l'histoire de cet Orient que je connais si mal. J'ai adoré les parfums que l'autrice, de sa plume poétique à su nous faire ressentir. Et c'est ici qu'une 3e voix intervient (celel de l'oncle d'Aliénor) pour nous raconter cette fameuse croisade qui va chambouler la vie du couple Aliénor-Louis. Tout à fait passionnant! Et d'ailleurs,  mon seul bémol serait, (qui n'en est pas vraiment un): ce fut un roman trop court! J'aurai voulu rester avec Aliénor et Louis. Mais bon, pour me consoler, je n'aurai qu'à me plonger dans "La révolte", un autre livre que Clara Dupont Monod a consacré à Aliénor d'Aquitaine", probablement la plus grande  reine de France. (comment ça, je ne suis pas objectif!) 

En tout cas, les romans médiévaux de Clara Dupont Monot sont une bouffée d'air frais qui nous promette à chaque fois un voyage merveilleux. Découvrez les si ce n'est pas déjà fait. C'est fantabuleux! 


Clara Dupont Monod: Le roi disait que j'étais diable, Le Livre de Poche, 186 pages, 2014






lundi 1 novembre 2021

Nous sommes les chasseurs

 

Résumé: Dans un univers sombre et magnétique, où les époques et les lieux se superposent jusqu’au vertige, Gabriel, Damien ou Natasha se débattent avec de vieilles peurs héritées de l’enfance et leurs pulsions les plus inavouables.

Jérémy Fel entraîne ici son lecteur dans un imaginaire éblouissant, où cruauté et trahison règnent en maître. Comme dans un palais des glaces, les destins se répondent et se reflètent, créant un monde où visible et invisible, réel et fiction, se confondent.

N'y allons pas par quatre chemins: Jérémy Fel est un génie! 
Avec ses deux premiers romans, Jérémy Fel avait ouvert une nouvelle page et fait entendre une nouvelle voix dans la littérature. 

Pour rappel, j'ai lu ses deux premiers livres en commençant par le 2e, "Héléna", qui est, pour ma part, le plus "facile d'accès" (pour ce qui concerne la structure du roman car l'ambiance noire et malsaine du roman n'est pas faite pour tout le monde). Puis, en ce début d'année, j'ai lu son premier roman "les loups à leur porte" qui avait élevé le niveau et mis la barre haute, pour ce qui est de la construction de ce roman qui montrait les différents visages du Mal. 

Je l'attendais donc au tournant avec son 3e opus: "Nous sommes les chasseurs". Et, comment dire... il ne va pas être simple de parler de ce roman.  J'ai fini, le livre hier et j'essaie de trouver un moyen d'en parler sans rien en dire, car sa force est aussi dans la découverte totale de l'univers a priori bordélique mais d'une structure exceptionnellement maitrisée au cordeau que propose ce livre. Alors, comment parler d'un livre qui m'a laissé complètement pantois d'admiration, que j'ai adoré au plus haut point, qui est d'une originalité folle, et bien plus encore? En fait, ce livre, c'est un livre qui ne ressemble à aucun autre: un "livre monstre" qui vous emporte dans des sphères où vous n'êtes probablement jamais allé. 

"Nous sommes les chasseurs" ne raconte pas une histoire, mais des milliers. Ce livre ne se laisse enfermer dans aucun genre, montrant la liberté (et la culture immense) de Jérémy a se balader dans tous les univers avec brio (celui du drame, de l'horreur, de la science fiction, de l'histoire, du fantastique et bien plus encore), à nous emporter dans des époques différentes (du XIX siècle, aux années 70, en passant par les années 80 et 2000. Nous faisant voyager du Chili à la France, en passant par les Etats Unis. 
Ce livre pourrait sembler être un recueil de nouvelles avec ses 10 histoires aux ambiances et aux époques différentes: en effet, comment la dictature chilienne évoquée dans le premier chapitre peut nous mener à un sextuple meurtre commis sur une famille allemande en 1922, en passant par un jeune adolescent  qui ,avec sa mère, décide d'emmener son ami Lucas, malade d'un virus qui a décimé une partie de la population dans la maison de son grand-père. Oui, quel rapport entre ces différentes histoires? Un lien sera bien fait entre toutes ces histoires, par petites touches, des petits détails que l'auteur parsème dans son récit aux multiples facettes, faisant de son livre, un "livre jeu". Oui, je vous assure, je me suis amusé à chercher un lien entre certaines histoires, que ce soit des personnages ou des lieux...il y a même des références aux 2 premiers romans de Jérémy (rien qu'avec la présence de Damien, personnage des "Loups à leur porte" qui refait surface ici). 
Mais stop n'en dévoilons pas trop! 
Comme ses précédents livres, Jérémy s'interroge, et nous interroge, sur le Mal (dans toute sa splendeur) et ce qu'il peut provoquer en chacun de nous. Encore une fois, il montre les hommes tels qu'ils sont, avec leurs forces et leurs faiblesses. 

En fait, dans "Nous sommes les chasseurs" celui qui fait le lien entre les 10 histoires n'est autre que Jérémy Fel lui même. A travers son imaginaire complexe et varié, il se dévoile comme il ne l'avait jamais fait auparavant, livrant au lecteur une partie de sa vie, de ses goûts, de ses admirations. Il interroge le lecteur sur le pouvoir de l'imaginaire: dans ce livre l'auteur fait revivre deux êtres qu'il a aimé plus que tout: comme un magicien, il se fait disparaitre pour donner sa place à un certain Gregory Fel, essayant de deviner la vie de celui qui n'est pas là. Il fait ainsi le lien entre fiction et réalité, brisant  les barrières et mélangeant ces deux éléments jusqu'au vertige. Ce livre est totalement stratosphérique et ne ressemble à aucun autre, seulement à son auteur. 

"Nous sommes les chasseurs" est probablement le livre le plus original que j'ai lu cette année: il brise les frontières et nous emmène très loin dans l'imaginaire. Il est truffé de références, qu'il est amusant de deviner, de rechercher. Ce roman est unique! Alors, je sais, c'est pas simple de vous le vendre car il est un mélange d'époque, un mélange des genres...mais, essayons: pour ceux qui ont aimé les précédents livres de Jérémy, aucun problème, ils ne seront pas dépaysés, et même vu  qu'il s'est surpassé, ils seront ravis: il a réussi à mettre la barre encore plus haute que pour ses deux premiers romans. 
Mais pour les autres, les éventuels petits nouveaux lecteurs qui aimeraient découvrir ce livre. 
En fait, ce livre, je le recommanderai aux gens curieux de tout, qui n'ont pas peur des expériences: car "Nous sommes les chasseurs" est une expérience formidable qui vous chamboulera, vous fascinera, vous mettra peut être mal à l'aise, mais dont vous ne sortirez pas indifférent. Je le recommande aux gens qui aiment se faire surprendre et aiment naviguer entre plusieurs genres littéraires, sans avoir peur d'être surpris. Ce livre est un formidable terrain de jeu, maitrisé de bout en bout. 

Après, pour les autres, qui ne savent pas dans quoi ce livre pourrait les embarquer, et qui se demande de quoi je suis en train de parler depuis plusieurs paragraphes,  je leur dirai: soit, ne lisez pas "Nous sommes les chasseurs"...tout de suite....mais intéressez vous à l'écrivain formidable qu'est Jérémy Fel. Pour commencer à entrer dans son univers, rien de mieux que de commencer par "Héléna", son roman le plus accessible. Si vous avez aimé, continuez avec "Les loups à leur porte" (qui a une construction semblable à "Nous sommes les chasseurs") et terminez par l'apothéose avec le stratosphérique "Nous sommes les chasseurs". 

Enfin bref: lisez les livres de Jérémy Fel, l'un des auteurs les plus innovants et les plus rafraichissants de la littérature française. Je vous le dit: Jérémy laissera sa pierre à l'édifice de la littérature.

P.S. Les gens aiment comparer les auteurs entre eux, pour savoir dans quelle case les ranger. On compare souvent Jérémy à Stephen King, pour le côté horrifique qui se trouve dans son oeuvre, c'est vrai. Moi même, je lui ai trouvé des similitudes avec Joyce Carol Oates, dans sa manière très viscérale et crue de parler de l'âme humaine et de s'emparer des faits divers pour les faire siens dans la fiction. 
Pourtant, avec "Nous sommes les chasseurs", j'ai compris que Jérémy n'est pas le "Stephen King" ou le "Joyce Carol Oates" français. Ces deux références ne font  que nourrir son imaginaire et son écriture. Jérémy Fel ne ressemble à aucun autre auteur que lui-même. Il a réussi à trouver son propre style et sa propre voix. Il est un auteur inclassable qui à la chance de pouvoir naviguer entre les genres, et le faire avec brio,  sans jamais se renier. C'est un immense conteur et un immense écrivain, qui, tout comme King ou Oates, laissera une trace dans la littérature. 

Jérémy Fel, Nous sommes les chasseurs", Rivages, 718 pages, 2021