lundi 15 août 2011

L'espérance est un hôtel lointain


Depuis quelques semaines Leiloona propose un nouveau rendez-vous chaque semaine. Le but de ce rendez-vous?
A partir d'une photo que Leiloona met sur son blog le mardi, chaque participant à jusqu'au dimanche pour pondre un petit texte à partir de la photo. Et chaque texte doit être publié le lundi sur son blog.

J'ai trouvé cette idée formidable et je me suis dit: "pourquoi ne pas essayer?"

Voici la photo qui devait nous inspirer la semaine dernière suivi du texte que j'ai écrit. C'est parti!

© Kot

L’espérance est un hôtel lointain

Il y a si longtemps que je n’étais pas revenu à Québec. Peut être quinze ans.

Je me souviens encore de l’embarquement sur le bateau à La Rochelle. Ma mère nous avait emmené ma sœur et moi pour fuir un homme violent. (Ce n’était pas notre père. Ce dernier était mort d’une crise cardiaque juste avant la naissance de ma sœur . Après deux ans de veuvage, ma mère refit sa vie avec cet homme et le cauchemar a débuté). Ma sœur Margaux, qui venait d’avoir huit ans, ouvrait de grands yeux brillants sur l’horizon en serrant sa petite poupée de chiffon contre son cœur. Sa petite Caroline. Moi, j’avais douze ans et déjà des rêves d’Amérique plein la tête.
Sauf que l’Amérique ce ne fut pas pour tout de suite.

Après une traversée sans encombre, nous arrivâmes à Québec. Je regardais émerveillé ces petites rues pavées, mais surtout le superbe château en haut de la colline. Le Château Frontenac où Margaux voulait habiter à tout prix. Margaux et ses rêves de petite fille.
Hélas pour elle, nous avons pris nos valises et nous avons déambulés dans les rues jusqu’à atterrir devant la porte d’un hôtel. En voyant le nom: Hôtel de l’Espérance, ma mère s’exclama: « Voilà l’endroit où nous allons repartir de zéro. Avec un nom comme celui-ci, tout va nous sourire! » En disant cela, elle me regardait comme pour avoir mon approbation. Je la lui donnai avec un sourire.
Elle poussa la porte et laissa passer Margaux qui trépignait d’impatience. (C’était plutôt que mademoiselle avait une envie pressante!) Margaux se précipita à l’accueil et appuya frénétiquement sur la sonnette.
« J’arrive! Pas la peine de faire tout ce ramdam! »
Un homme se présenta devant nous l’air renfrogné, surement d’avoir été dérangé aussi sauvagement par ma petite sœur.
Avant que cette dernière puisse prendre la parole, ma mère demanda poliment si elle pouvait avoir une chambre pour nous trois.
« Bien entendu madame.
-Maman, tu pourrais demander où sont les toilettes. J’en peux plus d’attendre. Si ça continue, je vais faire pipi dans ma culotte.
J’avais oublié de vous dire que ma sœur était sans gêne. En revanche, ma mère et moi étions mal à l‘aise devant ce comportement qui provoquait des situations comiques ou inconvenantes.
Heureusement, le réceptionniste ne se formalisa pas et montra une porte au fond d’un couloir où Margaux se dirigea à une vitesse phénoménale. Je crois même qu’elle a battu le record du cent mètres ce jour là.

Après cette petite aventure, nous nous dirigeâmes tous les trois vers notre chambre au deuxième étage.
En ouvrant la porte, nous vîmes tout d’abord les deux lits: le plus grand au milieu de la chambre et le petit dans le recoin gauche face à la fenêtre. Il y avait aussi une petite table de chevet où une bible reposait ainsi qu’une petite lampe. Cette chambre peut vous paraître spartiate à la décrire comme je le fais mais pour nous c’était le paradis.

Je me souviens de cette première soirée à l’hôtel de l'Espérance: Patrick le réceptionniste et patron de l’hôtel nous apporta un dîner dans la chambre car le restaurant était fermé à cette heure. En refermant la porte, il a sourit à ma mère. J’ai alors senti une colère sourde me ronger le ventre, un début de jalousie pour cet homme qui ne faisait qu’être gentil avec nous. Oui, mais j’étais méfiant et ma mère n’avait plus que moi pour la protéger.
Patrick me démontra au fil du temps que je pouvais lui faire confiance. Il offrit à ma mère le bonheur qu’elle avait perdu après la mort de mon père.

Quinze ans après, me voilà de retour dans ce quartier de Québec. Je suis devenu un artiste, je me produit sur les plus grandes scènes de Broadway, j’ai un superbe appartement face à Central Park, dans l’une des plus belles villes du monde. Sauf que je n’ai jamais oublié que ma vie a débutée ici, dans cet Hôtel de l‘Espérance.
Ma mère et Patrick ne s’occupe plus de l’hôtel. Ils se sont installés sur l’île du Prince Édouard où ils tiennent une petite auberge.
Margaux est devenu journaliste et court le monde pour trouver un sens à sa vie. Il faut dire qu’elle a toujours eu la bougeotte. J’espère tout de même qu’elle réussira à se poser un jour.

On dit souvent qu’on revient toujours vers ses racines un moment ou à un autre. Bon, je vous l’accorde, mes racines n’ont rien de québécoises, puisque je suis Rochelais de naissance. Sauf que j’ai toujours pensé que Québec fut la ville de ma renaissance et ma ville de cœur: je crois beaucoup aux racines du cœur. Voilà pourquoi je refais le voyage. Un voyage vers mes souvenirs.

Quinze ans après, je me trouve de nouveau devant cette porte. La plaque est toujours là. Je pose la main sur la poignée, essaie de la tourner. La porte reste close. Je passe ma main sur le bois doré de la porte. Je ferme les yeux et la pousse. La porte s’ouvre doucement, une petite fille me passe devant, trépignant d’impatience. Je la vois se diriger vers la réception; elle appuie sur la sonnette. Un homme arrive, l’air renfrogné.
Je reste sur le seuil et je souris devant cette image.
Je rouvre les yeux. La porte est toujours close.
« L’hôtel est fermé depuis des années monsieur. Les anciens propriétaires sont partis s’installer ailleurs, sur l’île du Prince Édouard il me semble. Depuis, l’hôtel est resté fermé. Personne d’autre n’a pris la relève. C’est bien triste . »
Je me tourne vers la femme qui vient de me parler. C’est la voisine d’en face, qui habite au 8. Madame Fermer. Cette chère Madame Fermer qui nous offrait des bonbons au sirop d’érable.
« C’est bien triste en effet », je lui répond.
Elle me regarde, me sourit et rentre chez elle.
Je pose la main sur la plaque. Je passe les doigts sur chaque lettre du nom pour m’imprégner encore de cette Espérance. Puis je m’éloigne lentement.


2 commentaires:

  1. un texte tout en émotion retenue... une jolie promenade au pays des souvenirs

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  2. Quand on revient vers un lieu qui a marqué notre enfance, c'est souvent déstabilisant ... Plus petit, moins beau. Mais là, à cela s'ajoute le fait que l'hôtel soit fermé.

    Merci d'avoir participé ! ;) Je mets ton lien dans mon billet récapitulatif de demain. :D

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