vendredi 3 septembre 2021

Rentrée Littéraire 2021 #7: Par instant, le sol penche bizarrement

 

Résumé: « Ah, vous traduisez des livres ? Vous faites comment ? Mot à mot ? »

Traducteur : mode d'emploi.

Dans ces carnets décalés et passionnants, le traducteur littéraire Nicolas Richard, capé et renommé, fait l’éloge de ce métier d’artisan, où chaque texte suscite son lot d’interrogations, d’émerveillements pour la langue – aussi bien anglaise que française – et la littérature.
Il propose ainsi un florilège d’énigmes rencontrées au fil de sa carrière, riche d’échanges privilégiés (souvent cocasses !) avec nombre d’auteurs, et invite le lecteur à se questionner, à douter, à enquêter et à s’amuser avec lui.
Are you ready ? Êtes-vous prêt ?


Les traducteurs, ces petites mains de l'ombre, sont, pour moi, des passeurs de mots qui permettent aux lecteurs et lectrices de se plonger dans toutes les littératures du monde et de découvrir un champ des possibles très vaste, et de faire un tour du monde de son fauteuil. Mais au fait, comment font ils pour retranscrire les mots d'un auteur d'une langue étrangère, à la nôtre (en l'occurrence, le français) sans trop le trahir? Comment devient on traducteur? Nicolas Richard, traducteur depuis 30 ans, donne quelques réponses dans ce livre passionnant. 


Tout d'abord, avant de vous donner un avis sur ce livre, je voudrais dire un grand merci à Nicolas Richard. Merci de m'avoir permis de lire l'un des plus beaux romans qui existent et qui m'a bouleversé: "Le temps où nous chantions" de Richard Powers. Ce livre a été un bouleversement dans ma vie. 

Maintenant, passons aux carnets de Nicolas Richard. Je sens que cela va être compliqué de parler de ce livre et surtout de donner envie aux amateurs de lecture, d'ouvrir ce livre. Je vous dis ça après une discussion que j'ai eu avec un ami concernant cette lecture; Quand je lui ai dit ce que je lisais, et de manière assez passionné, il m'a alors posé cette question: Qui ça va intéresser ce genre de livre ? Aïe aïe aïe. 

Alors pour répondre, moi, déjà ça m'intéresse grandement. En effet, je lis beaucoup de littérature étrangère, et anglo-saxonne en particulier:  l'une des premières choses que je regarde à propos d'un livre étranger, c'est le nom du (ou de la) traducteur/trice. Quand je lis un roman étranger, j'ai toujours une pensée pour cette personne de l'ombre qui a retranscris le texte que je lis. Quand j'entends dire par certains personnes qu'un auteur étranger à un style bien à lui, j'ai envie de rétorquer que c'est celui choisi par le traducteur, (même si celui ci essaie de rester le plus fidèle à l'auteur qu'il traduit). Exemple tout bête concernant mon autrice préférée, J.C. Oates. J'ai découvert son univers avec des livres traduits par Claude Seban. Je me suis donc habitué à son style. Eh bien quand je lis un roman de Oates, traduit par une autre traductrice, j'ai l'impression de ne pas retrouver la patte de Mrs Oates. Je ne sais pas si je suis clair dans cette explication

En fait, ce livre pourrait intéresser tous les passionnés de lectures, les passionnés de langues étrangères, et  tous les curieux en général, . 

Mais bon, trêve de bavardage inutile et venons en à ce fantastique livre de Nicolas Richard. Ce traducteur reconnu a commencé à traduire des textes, il y a 30 ans, et il a commencé par hasard, en voulant faire découvrir les poèmes d'un de ses auteurs préférés, Richard Brautigan: les poèmes du monsieur n'étaient alors pas traduit en français. Il décide donc de s'y coller. Et c'est comme ça que tout commence. 

Tout d'abord, ce livre est un véritable jeu.(Un jeu dont Nicolas explique les règles dans une petite introduction. Ah! petit conseil: il est préférable d'avoir une petite base en anglais pour pouvoir jouer à ce "livre jeu", l'auteur parsemant son texte de citations anglaises des romans traduits. Mais attention, pas de panique: un anglais de base niveau collège-lycée, suffit. Car les phrases anglaises que Nicolas Richard parsème dans le livre, sont toujours retranscrites dans leur traduction. Après, il est toujours plus drôle de se faire sa propre traduction d'une phrase et voir au final ce que le traducteur à choisi. Ensuite, vous pourrez comparer avec celle que vous aviez en tête).  Constitué de notices tenues par Nicolas toutes ces années et qui  sont regroupés par auteurs dont il a traduit certains livres, de ses débuts dans les années 90 jusqu'à aujourd'hui, le lecteur se ballade entre les notices et en apprend un peu plus sur les astuces que le traducteur essaie de trouver pour se sortir de petits pièges que peut recéler certains textes. Un traducteur doit être avant tout curieux sur tous les sujets, car il peut les rencontrer dans un livre: par exemple quand un roman parle de pêche et que le traducteur n'y connait rien,  il va alors, se documenter pour savoir de quoi l'auteur parle, pour trouver le bon mot ou la bonne formule en français. Parfois, il va demander l'aide d'une personne qui s'y connait dans ce sujet. Autre exemple, quand il doit traduire un livre qui parle d'un procès ou de politique américaine, il va alors se renseigner sur les arcanes du pouvoir américain pour retranscrire au plus juste le texte et le rendre passionnant pour le lecteur français. Ou alors, directement demander des explications à l'auteur lui-même pour essayer de savoir à quoi il a fait référence. 

Car oui, certaines références d'une culture ne se retrouve pas dans la nôtre. C'est alors au traducteur de chercher une équivalence dans notre pays afin que le lecteur s'y retrouve. 

Parfois, il y a aussi des choix à faire sur certains mots, surtout concernant certains jeux de mots, parfois intraduisible d'une lange à une autre. Il y a aussi le choix de la langue: exemple, dans la notice de James Crumley, auteur de polar noir, Nicolas Richard explique qu'il a utilisé "un argot saturé de crème indigeste, trop sucré, trop grasse", là où il n'y avait qu'un langage familier dans le texte original. Et l'auteur d'expliquer qu'il avait probablement été influencé par les traductions des romans de Chandler et autres auteurs de polars, traduit dans les années 50. (Eh oui, le traducteur fait un choix qu'un autre traducteur ne ferait peut être pas. Et l'exemple le plus frappant est la traduction des premiers tomes de "Game Of Thrones": l'action se passant dans un univers fantasy plutôt médiéval, le traducteur Jean Sola décida d'utiliser certains termes médiévaux pour sa traduction, la rendant parfois complexe à lire pour certains lecteurs, là où George Martin à un langage plus moderne. A partir du tome 5, changement de traducteur. Le nouveau traducteur décide de revenir au plus près du style original et met donc fin à  cette langue un peu médiéval que le premier traducteur avait mis en place). Mais je m'égare encore une fois. Revenons à Nicolas Richard. 

Pour apprécier ce livre foisonnant et riche d'informations, saupoudré d'humour et de situations parfois cocasse, il faut savoir piocher dedans. Oui, j'avoue, je n'ai pas lu ce livre d'une traite car je pense que c'est un  livre qui  se savoure par petites touches. Faites en un livre de chevet et aller piocher des infos au gré de vos envies de découverte. Ou plutôt, après avoir lu un livre de la longue liste des livres traduit par Nicolas (et elle est longue cette liste (en même temps, le monsieur en 30 ans a traduit 120 livres...pour le moment)), prenez le livre et aller lire la notice s'y référant pour apprendre comment Nicolas s'est "approprié" cet ouvrage sans le trahir. 

Ce livre est également une vraie mine d'or pour tous lecteurs de tout horizon et pour tous les genres. Nicolas a traduit du polar, des auteurs classiques comme la correspondance entre Kerouac et Ginsberg, Truman Capote;  des auteurs de polars comme Joe Lansdale, James Crumley. Mais aussi des cinéastes, comme Woody Allen, David Lynch ou Quentin Tarantino (c'est d'ailleurs Nicolas qui est derrière la traduction du livre sorti récemment "Il était une fois à Hollywood") ou des musiciens comme Keith Richards, Leonard Cohen, Bruce Springsteen. Et même Barack Obama! . Par contre Nicolas ne va pas faire du bien à votre porte monnaie, car il donne envie de découvrir les livres qu'il a traduit, le bougre! 

Alors, c'est vrai que je donne peu d'exemple, mais c'est que le livre fourmille d'énormément d'informations et que j'en ai probablement oublié en route. Mais je sais que j'y reviendrai un jour. Quand je vous dis que ce livre est un livre de chevet vers lequel on revient toujours...enfin, pour ceux qui s'intéresse à la traduction d'un texte et est curieux en général. 

Au final, un livre passionnant que j'ai pris plaisir à découvrir. Nicolas Richard a une plume drôle, captivante et un métier des plus intrigants qui l'emmène explorer des univers qu'il ne soupçonnait peut être pas. En tout cas, en refermant son livre, le lecteur en sait un peu plus sur ce métier de l'ombre qu'est celui de traducteur. Un métier passionnant qui a plusieurs facettes et plusieurs contraintes différentes. Comme une contrainte de temps. Une contrainte de temps salutaire car comme le dit si bien Nicolas: 

"Pour la santé mentale du traducteur, heureusement qu'il y a une date de remise du manuscrit- une deadline, comme on devrait ne pas dire. Sinon, je risquerais de passer une vie à essayer de trouver mieux...et je réussirais sans doute, à la fois à trouver mieux et à y passer une vie. La nécessité de devoir conclure, voilà ce qui  sauve le traducteur. (p.282)"

Merci aux Editions Robert Laffont pour cette idée géniale de donner la parole à un traducteur pour nous parler de son métier. Et bien sûr, merci de m'avoir permis de le découvrir. 


Nicolas Richard: Par instants, le sol penche bizarrement, Robert Laffont, 472 pages, 2021








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