dimanche 5 septembre 2021

Rentrée Littéraire 2021 #8: 907 fois Camille

Résumé: C’est l’histoire vraie de Camille, fille de. Pas d’un acteur ni d’un chanteur, mais du proxénète notoire Dodo la Saumure. Depuis l’enfance, Camille compose avec l’absence de ce père occupé par ses maisons closes et ses allers-retours en prison. Camille grandit dans la honte et les secrets de famille avec une seule question : comment devenir une femme dans l’ombre d’un père qui en exploite tant ?
L’expérience de Camille est universelle, car elle illustre la place et le combat de toutes ces femmes aux prises avec des hommes qui les méprisent, les dupent, les utilisent pour dominer et triompher.

C’est aussi l’histoire d’un écrivain, Julien Dufresne-Lamy, qui pour raconter son amie Camille reprend la narration depuis l’origine. Il interroge l’écriture et les souvenirs enfouis de son héroïne en se demandant sans cesse : comment écrire le vrai, la vie d’une autre, l’amitié sans trahir la littérature ?
 

C'est toujours un plaisir de retrouver un écrivain dont on apprécie la plume. Chaque année, Julien Dufresne Lamy revient avec un roman sur un thème social fort. Après les drag Queen (en 2019) avec "Jolis jolis monstres", et la transidentité (en 2020) avec le sublime "Mon père, ma mère, mes tremblements de terre", le thème social abordé ici semble être le proxénétisme. 

Quand je dis semble, c'est que pour moi, le thème central du livre n'est pas vraiment celui là. Bien sûr il est présent mais je trouve que deux thèmes sortent du lot dans ce livre: celui de l'amitié, l'amitié indéfectible entre deux personnes qui s'admirent mutuellement, j'ai l'impression. Et l'autre thème serait pour moi, le rapport à l'écriture et le lien entre fiction et réalité. 

Par rapport à l'amitié, je trouve que Julien donne un superbe visage à cette notion. Le livre qu'il offre à Camille est un bel hommage à leur amitié et un joli cadeau. De plus, il permet à Camille de devenir "éternelle" en la transformant en personnage de roman. Elle n'est plus simplement fille de proxénète (ce qui aurait pu être le cas si ce livre avait été un simple témoignage de sa vie), mais un personnage fabuleux de femme libre et indépendante qui a su s'affranchir d'un père absent, en construisant sa propre cellule familiale avec Thomas, son compagnon, et leur fille Diane. Camille a une telle chance d'être aimé ainsi par Julien, car il lui offre le plus bel écrin qui soit: un beau portrait qui restera gravé dans le temps. 

En parallèle, Julien parle de son métier d'écrivain et son rapport à lui. Il nous fait entrevoir le processus de création et s'interroge sur le lien très fin qu'il y a entre fiction et réalité. Comment faire des éléments de faits divers, un véritable objet de fiction. Julien a toujours mélangé des éléments du réel dans ses romans, et ce dès le premier. Des vrais gens ont toujours côtoyé des êtres de fictions que ce soit dans "jolis jolis monstres" ou "Deux cigarettes dans le noir" (avec le portrait admiratif de Pina Bausch). Julien a toujours su mêler les deux, en faisant disparaitre cette frontière invisible entre fiction et réalité. Sauf qu'ici, le procédé n'est pas  le même: Camille, une vraie personne va se transformer sous les doigts de Julien, en personnage de fiction. Ici, point de personnage imaginaire, mais le processus de création est quand même là, car Julien va faire marcher son imagination en s'emparant avec justesse et empathie, des souvenirs que lui raconte Camille. 

Alors, je dois dire que "907 fois Camille" ne sera pas un de mes "Dufresne Lamy" préféré. Bien sûr, j'ai aimé retrouver la plume bienveillante, douce et précise de Julien, son univers, mais le procédé que j'explique plus haut, m'a un peu sorti de ce livre. J'ai aimé lire ce livre, mais j'ai eu l'impression de plus lire un récit qu'un roman. Le côté journalistique de Julien, qui transparait dans tous ses romans, (je me souviens des informations qu'il donnait sur la transidentité (dans "Mon père, ma mère, mes tremblements de terre") ou sur le monde des Drag Queen (dans "Jolis jolis monstres) a été plus présent et plus visible dans "907 fois Camille". Là où dans ses autres romans, j'ai réussi à m'attacher aux personnages et à l'histoire, ici, le côté réel a plus pris le pas sur la fiction. C'est fort bien écrit et très intéressant, mais je suis resté un peu en dehors, comme le spectateur d'un documentaire. Ce qui n'enlève en rien la qualité indéniable de ce livre. 

Pour finir, je voudrais rajouter que ce livre n'est pas pour moi un livre sur le proxénétisme et sur Dodo la Saumure, en particulier. Il se trouve que ce dernier est le père de Camille, l'amie de Julien, mais il aurait pu en être autrement, et cela n'aurait rien changé au livre, Camille en étant le point central. Le père de Camille est juste une ombre qui traverse le livre et ne fait que passer. En fait, ce livre parle tout simplement des femmes et de leur courage. Le courage de faire le plus vieux métier du monde, commandé par des hommes, le courage d'élever seule son enfant et de lui donner la plus belle vie possible. le courage de se construire sans image paternelle et surtout de s'en détacher pour se construire sa propre cellule familiale. Ce que je retiens de ce livre, c'est que dans l'écriture de Julien se retrouve cet amour qu'il a des femmes. En peignant de ses jolis mots, le portrait de Camille, il rend un hommage à toutes ces femmes qui, même sous le joug des hommes, essaient de s'en sortir et de se montrer fortes. 

En écrivant ce livre sur son amie Camille, Julien Dufresne Lamy continue de se livrer sur son parcours d'écrivain et son rapport à l'écriture, en rendant un hommage à toutes ces femmes courageuses, qui essaient de se construire une jolie jolie vie. 


Julien Dufresne Lamy: 907 fois Camille, Plon, 335 pages, 2021





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