mercredi 30 octobre 2013

Bouquet de bohème

4e de couverture: Dans le Paris d'aujourd'hui qui a encore trente ans à vivre pour rentrer dans le XXIe siècle mais que les gens en place bouleversent à qui mieux mieux, sous prétexte de le préparer à l'an 2000, on ne comprendra bientôt plus ce qu'est, ce qu'a été Montmartre-cette commune champêtre perchée sur sa Butte d'où les seules tours qu'on apercevait rivalisant avec le chef-d'oeuvre d'Eiffel étaient celles des églises. 
En ce temps là, il y avait encore des moulins et des vignes et les ruelles où artistes et apaches se côtoyaient fleuraient bon le lilas; les maisons étaient basses et parfois biscornues tel le Bateau Lavoir qui hébergea tant de futures célébrités; la Tour Eiffel ne datait que de 1889 et l'on était en 1906: la grande époque de Montmartre commençait avec les vingt ans de Roland Dorgelès, celle de la bohème où la jeunesse savait encore être pauvre et joyeuse et se sentait bourrée de talent, celle de la naissance du cubisme et des Fauves, des farces de rapins, du Lapin à Gil, de la camaraderie aussi...

Montmartre, avant d'être un quartier de Paris (mon endroit préféré de la Capitale. Combien de fois, j'ai arpenté ses rues et ses ruelles) était un petit village, où les vignes et les champs étaient légions et où les artistes (peintres, chanteurs, comédiens) se promenaient et vivaient, pauvres mais libres. C'était il y a plus d'un siècle, mais les artistes sont toujours là.

Roland Dorgelès à connu ce Montmartre là et a voulu en laisser une trace dans plusieurs de ses romans, dont "Bouquet de Bohème". A travers ces pages sublimes, c'est toute une époque (celle du début du XXe siècle, de l'avant guerre) qui resurgit avec ses artistes célèbres et ceux qui sont restés dans l'ombre.
C'est ainsi que le lecteur croise Picasso, Modigliani, Bruant, Appolinaire, Mac-Orlan, mais également Utrillo, Juan Gris, Max Jacob,, Marie Laurencin, le Douanier Rousseau...et tant d'autres que j'ai malheureusement déjà oublié (Honte sur moi!). Roland Dorgelès leur redonne vie, par petites touches d'anecdotes drôles et tragiques. La vie, en ce temps là était légère, et même si la misère était le lot commun, la belle affaire. Le tout, c'était de vivre sa vie sans s'en faire et essayer de vendre la moindre toile où le moindre texte afin de continuer la fête. Dire que certains comme Picasso ou Modigliani allaient devenir des peintres célèbres: les rencontrer à l'aube de leur vie d'artistes démunis, est fascinant.

Une anecdote à toutefois retenu mon attention, c'est celle d'un artiste qui se nomme Boronali. Il a fait parler de lui en 1910, au salon des indépendants avec une seule oeuvre:

Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique

Un tableau qui intrigua et retint l'attention de beaucoup de visiteurs. On avait trouvé un nouvel artiste, italien d'origine, et qui parla dans un manifeste, du mouvement de l'excessivisme. C'est ce tableau d'une certaine beauté qui est à l'origine d'une imposture mis en place par Roland Dorgelès, lui même. 
Un peu enragé par ces artistes qui avaient pris le cubisme pour modèle, et délaissé la belle peinture, il fut piqué par une remarque d'Appolinaire qui lui disait qu'il n'aimait que la peinture de singe. 
Il eu alors l'idée ingénieuse de demander à Frédéric Gérard, propriétaire du "Lapijn à Gil", de lui prêter son âne Lolo, pour peindre. Il présenta l'oeuvre au Salon des Indépendants qui fit sensation. Elle eu même l'audace de se vendre 20 louis d'or (une somme considérable), somme reversée à l'Orphelinat des Arts. Un beau parcours pour cette ouvre, peinte par Boronali, alias Lolo, âne vivant au "Lapin à Gil".   

Des anecdotes savoureuses comme celles ci remplissent ce "Bouquet de Bohème", qui sent bon la joie de vivre. 
D'une plume tendre, lègère, caustique et humoristique, Roland Dorgelès fait vibrer le lecteur qui découvre un autre Montmartre, celui d'avant la Grande Guerre, qui, tapie dans l'ombre, attend son heure. 

Voilà un roman fabuleux qui nous enchante et nous montre une autre facette de ces artistes qui se sont fait un nom et qui, pour certains, sont tombé au champ d'honneur comme Maurice et Léon Bonneff, Drouard, Puechmagre, Richard de Burgue, Wasley, ou bien Appolinaire, enterré le 11 novembre 1918: un jour de fête un peu triste pour les artistes de Montmartre. 

Roland Dorgelès a ressuscité avec des mots, le Montmartre disparu, celui des champs et des vignes qui ont, avec le temps laissé leur place à des immeubles. La grande ville l'a grignotée petit bout par petit bout, faisant "coulé du ciment sur les potagers [...] Il ne restait plus entre les deux cimetières qu'un bout de village inquiet où traînaient des fêtards." (p.380)

Si vous voulez connaître le vieux Montmartre, ouvrez la première page de "Bouquet de Bohème" et laissez vous emporter dans un tourbillon de joie: le joli tourbillon d'une vie passée: celles des artistes. 



Roland Dorgelès: Bouquet de Bohème, Le Livre de Poche, 380 pages, 1947





4 commentaires:

  1. Je ne crois pas que ce livre puisse me plaire mais comme toi Montmartre est mon quartier préféré de Paris. Je vois que pour ta lecture en cours tu es raccord avec le moment de l'année ^^

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    1. Nous avons donc un nouveau point en commun.
      C'est vrai, sans le vouloir, ma lecture en cours est raccord avec Halloween. Une lecture sympathique pour le moment.

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  2. J'ai aussi fait avec l'époque (mais en plus petite joueuse) je lis Le diable danse à Bleeding Heart Square d'Andrew Taylor.

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    1. Un très bon roman (l'un de mes coups de cœur d'il y a deux ans) que j'avais lu à la même période. J'espère qu'il te plait.

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