Tu attends, les bras croisés, le bassin calé contre le plan carrelé, et parfois avec un peu d’impatience, que la femme se soit dévêtue et qu'elle apparaisse enfin en longue chemise de nuit ou en robe légère.
– Venez, Madame.
Tu lui souris, tu fais deux pas dans sa direction ; tu l’invites à s’approcher.»
Bruno Sachs, médecin généraliste, pratique des avortements lors de vacations hebdomadaires dans un hôpital.
Premier roman de Martin Winckler, cette vacation fut une lecture des plus déconcertante et dérangeante, par certains côtés.
Dérangeante, dans le sens de la gêne que cette lecture m'a occasionnée. Pourtant, Martin Winckler parle d'un sujet fort mais aussi tabou. En suivant Bruno Sachs (son héros récurrent) dans sa journée hebdomadaire dans un centre IVG où il fait des vacations une fois par semaine, l'auteur nous plonge de plein fouet dans ce monde où la gêne doit être souvent présente.
Alors, c'est très intéressant à lire pour comprendre comment cela se passe un avortement...et même si je savais d'avance que ce n'était pas un acte anodin, ce n'est pas évident de le "voir" de ses propres yeux. L'une des forces de ce roman, c'est que Martin Winckler nous décrit l'acte pratiqué par le médecin sur ses patientes dans les moindres détails, de manière frontale et crue (sans prendre de gants, si j'ose dire) et ce fut très perturbant.
Ce qui m'a déstabilisé, c'est également le style employé par l'auteur. L'utilisation du "tu" dans la narration, comme un narrateur extérieur qui s'adresse au personnage principal, n'est pas courant (je crois même que c'est la 1ere fois que je croise cette dernière). Le fait d'avoir répété certains actes ou scènes lues précédemment, en coupant certaines phrases pour y inclure les réflexions et pensées du Docteur Sachs entre parenthèses, m'a encore une fois déstabilisé, et fait sortir un peu du roman. Sauf que j'ai compris cet emploi de procédé en arrivant à la fin du roman.
Le roman est découpé en 3 parties distinctes:
celle du "Mardi" qui raconte la journée de Bruno Sachs au centre IVG, en nous montrant toutes les étapes d'un avortement. Celle ci, même si elle est dérangeante par le côté voyeuriste qu'elle dégage, est des plus intéressantes et nous dévoile un personnage compatissant et à l'écoute de ses patientes. C'est vrai que cette partie ne nous épargne rien de l'acte en lui même, mais elle montre les choses simplement, sans jugement.
celle du "Jeudi" où là, les scènes déjà lues dans la 1ere partie, se répètent avec des réflexions du Docteur Sachs, est la partie la plus déconcertante. Les pensées de Sachs nous montre un perso différent de la 1ere. Ses pensées en font un médecin parfois blasé, en colère, contre certaines patientes ou contre certains maris ou amants qui accompagnent la patiente. Certaines onomatopées sont incluses pour nous faire entendre les bruits de cet acte pas si anodin qu'est un avortement, et nous immerge encore plus dans cette salle d'examen et fait grandir le malaise en nous. Mais cette 2e partie nous dévoile que le docteur Sachs écrit un livre sur son expérience lors de ses vacations. Ainsi, ce que le lecteur lit sont ses notes sur un futur roman. Il y a également de belles réflexions sur le "métier" d'écrivain et les retentissements de la publication d'un roman. Et la question est même posée par rapport à la légitimité de Bruno Sachs de dévoiler dans un texte livré au public, ses anecdotes sur son expérience de médecin en centre IVG.
celle du "Vendredi", plus courte et plus intime, qui concerne le médecin lui même et qui nous éclaire sur cette narration extérieure, en dévoilant le narrateur de l'histoire. Et qui découle sur un final sensible et émouvant.
Comme vous le voyez, La Vacation ne laisse pas indifférent en nous parlant d'un sujet douloureux, de manière frontale, crue, mais aussi par moment émouvant...Un roman qui m'a laissé déconcerté, qui m'a gêné...mais qui m'a fait découvrir un monde médical que je ne connais pas. Un livre essentiel sur un sujet délicat: celui de l'avortement.
Martin Winckler: La Vacation, Folio, 214 pages, 1989
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