Je ne chanterai jamais plus.
Un soir de 1993, au Châtelet, mon cœur, trop lourd de tant d'émotion, a brusquement battu trop vite et trop fort, et, durant l'interminable espace de quelques secondes où personne, j'en suis sûre, ne s'est aperçu de rien, mon corps a refusé d'obéir à un cerveau qui, d'ailleurs, ne commandait plus rien.
J'ai gardé, rivée en moi, cette panique fulgurante pendant laquelle je suis restée figée, affolée, perdue.
J'ai dû interrompre le spectacle pendant quelque temps, puis définitivement...
Durant deux ans, j'ai fait le deuil d'une partie de ma vie qui venait brusquement se terminer.
Ecrire, aujourd'hui, est un moyen de continuer le dialogue.
Il y a encore quelques années, jamais je ne me serais penché sur ce livre. Mais voilà que ses chansons entre dans ma vie il y a deux ans et tout change. Puis, je l'ai trouvé en brocante, l'année dernière et là, ce fut comme une évidence. Il fallait que je le lise pour pouvoir entendre la voix de Barbara, me raconter son histoire.
Alors, il est clair que c'est frustrant de se plonger dans ce livre, en sachant dès le départ qu'il est une ébauche de ses mémoires. (Une préface de l'éditeur nous dit même qu'ils se sont souvent posé la question de la publication ou non de ces mémoires interrompues). Car Barbara entrepris d'écrire ses mémoires en avril 1997, en les travaillant, retravaillant afin de rendre le travail final un an plus tard, en 1998...mais le destin en décide autrement puisque la Dame Brune disparut le 24 novembre 1997, laissant ce récit inachevé.
C'est ainsi qu'on lit ce livre en tout état de cause, en sachant qu'on n'aura qu'une petite partie de son histoire.
Cette histoire qui débute le 9 juin 1930, à Paris, près du square des Batignolles. Ainsi, Barbara nous parle de son enfance au sein d'une famille juive, qui va traverser la guerre, en allant de maison en maison mais jamais inquiétée par les allemands. C'est d'ailleurs étrange de lire ceci...comme si la vie avait jeté un voile sur cette famille en taisant sa judéité. Elle nous parle de sa mère adorée, de son frère Jean, très fort à l'école et sur qui tous les espoirs sont fondés, laissant à Barbara un sentiment d'échec permanent à l'école (heureusement sa passion pour la musique, qui ne se démentira jamais va la porter très loin), puis sa soeur Régine et enfin Claude, le petit dernier, né pendant la guerre. Et enfin, son père, ce père qui lui fait peur, parce qu'il a un comportement bizarre envers elle (le mot "inceste" n'est jamais évoqué dans ses mémoires, il est juste dit à mots couverts).
Barbara évoque son apprentissage du piano au Conservatoire, avec un programme classique, ses débuts dans l'opérette "Violette Impériales", son départ pour Bruxelles où elle vivra chez un oncle violent de chez qui elle partira, puis son errance dans Bruxelles, sa dérive vers la prostitution dans laquelle elle ne tombera finalement pas: ses débuts de chanteuse dans des bars à Bruxelles, puis son retour à Paris sur un coup de tête, sans bagages, ni argent, pris en stop par un certain "Monsieur Victor", tatoué jusqu'au cou et à qui elle rendra hommage dans une de ses chansons justement intitulée Monsieur Victor.
Puis son retour à Paris, son arrivée à L'Ecluse, le début de sa carrière: tout ceci est évoqué avec justesse et avec une langue qui parle à notre oreille. Par moment, vous avez l'impression d'entendre Barbara parler à votre oreille quand vous la lisez.
Et ce récit se termine brutalement après les fameux concerts donnés en Allemagne en 1964, qui donnera naissance à la chanson Göttingen.
La deuxième partie de ces mémoires sont fait de fragments, d'ébauches de textes où Barbara évoquait certaines rencontres avec certains hommes qui traversèrent sa vie, comme Lucien Morisse, qu'elle rencontra à Europe1, où bien Gérard Depardieu avec qui elle partagea la scène dans le spectacle Lily Passion (un texte magnifique, plein de tendresse pour ce "petit frère" avec qui elle restera proche jusqu'à la fin (et qui lui a rendu hommage dans un album magnifique en cette année 2017, anniversaire de la disparition de la chanteuse)). Puis son expérience de la scène où elle nous parle des coulisses...
Tout ceci est passionnant à lire, mais aussi frustrant car on sent que ce ne sont que des ébauches et qu'on aurait pu avoir plus. Elle n'a pas eu le temps d'évoquer les séjours en prison qu'elles fit pour donner quelques concerts, mais surtout pour parler du Sida aux détenus, parler de la maladie, la solitude...mais le temps lui a manqué pour aller au bout de ce livre.
Alors, j'ai été ravi tout de même d'avoir retrouvé sa voix, frustré un peu d'en avoir si peu, mais aussi soulagé de voir qu'en lisant sa vie, j'en connaissais déjà beaucoup par l'intermédiaire de ses chansons. Car Barbara nous parlait d'elle dans ses chansons et si on veut savoir qui elle était, il suffit de l'écouter encore et toujours.
Au final, ravi d'avoir lu les mémoires de cette grande dame, et même si une certaine frustration est venue, je me dis qu'il suffit juste d'écouter encore et toujours ses chansons pour savoir qui était Barbara, cette femme qui n'a vécue que pour son public. Un Public qui a fait de cette femme nomade, une femme heureuse.
Barbara: Il était un piano noir..., Fayard, 230 pages, 1998
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