mercredi 18 avril 2018

Confiteor

4e de couverture: Barcelone années cinquante, le jeune Adrià grandit dans un vaste appartement ombreux, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une arrière de violoniste virtuose.
Brillant, solitaire et docile, le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu'au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d'un magasin d'antiquités extorquées sans vergogne.
Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l'abandonne, Adrià tente de mettre en forme l'histoire familiale dont un violon d'exception, une médaille et un linge de table souillé constituent les tragiques emblèmes. 
De fait, la révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l'Inquisition à la dictature espagnole et à l'Allemagne nazie, d'Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l'abjection totale.
Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane. Sara, la femme tant aimée, est la destinataire de cet immense récit relayé par Bernat, l'ami envié et envieux dont la présence éclaire jusqu'à l'instant où s'anéantit toute conscience. 
Alors le lecteur peut embrasser l'itinéraire d'un enfant sans amour, puis l'affliction d'un adulte sans dieu, aux prises avec le Mal souverain qui, à travers les siècles, dépose en chacun la possibilité de l'inhumain - à quoi répond ici la soif de beauté, de connaissance et de pardon, seuls viatiques, peut-être, pour récuser si peu que ce soit l'enfer sur la terre.



Confiteor fait partie de ces livres que l'on trouve peu dans une vie de lecteur. Un livre qui, pour peu que vous acceptiez de jouer le jeu et de faire fonctionner vos petites cellules grises, vous emporte très loin. Il est inclassable, intransigeant, beau, magnifique. Avec Confiteor, on atteint le Sublime. 
MAIS, Comment Vous en Parler? 

Oui, il n'est pas simple de parler d'un tel livre, tellement il surprend. D'abord, comment le résumer: je dirai que c'est tout simplement la lettre (qui fait tout de même plus de 700 pages, mais c'est un détail) d'un homme (très bel Adria) à sa femme disparue, à qui il raconte sa vie. 
En fait, je me suis plongé dans ce livre comme on se jette à l'eau, quitte à me noyer. Je savais, pour avoir lu certains billets ici (merci Cuné!) ou  (merci Karine!) que cela n'allait pas être simple à lire et qu'il allait falloir mettre le cerveau en marche. "Mais, vous qui êtes un grand lecteur (dans le sens lisant beaucoup), cela devrait passer" dixit Marie, ma libraire préférée, qui a été tout à fait rassuré pour moi, quand je lui ai dit que je regardais déjà Twin Peaks....que donc, les oeuvres complexes où il faut un peu réfléchir, cela me connait. 

Mais, même en sachant cela, je ne m'attendais pas à cela. Tout d'abord, en commençant, je me suis dit, "bon, l'auteur mélange dans la même phrase la première et la 3e personne du singulier en ce qui concerne Adria, pour le moment ça va, je gère...puis, tranquillement on avance dans le roman, et là, dépassant allègrement les 200 pages voire 300, un autre choc et Stop! Arrêt dans la lecture: regard fixe, froncement de sourcil: attends, attends, il mélange deux, voir, trois époques, dans un même paragraphe!!!! Oui, messieurs, dames! l'auteur, n'hésite pas à nous embrouiller en nous parlant d'Adria (Adria qui est un érudit et qui a lu beaucoup et qui a énormément de connaissance): ainsi, je me souviens d'un chapitre où il passe allègrement de l'appartement d'Adria, dans les années 50 à Barcelone, à Nicolau Eimeric, inquisiteur général à Gérone aux XIV et XVe siècles lors de l'inquisition espagnole, mais aussi au SS Obertsrmbanfuhrer Rudolph Höss, commandant du camp d'Auschwitz lors de la seconde guerre mondiale. Et tout ça dans la continuité de l'histoire, et parfois dans le même paragraphe. C'est à y perdre son latin...mais c'est génial!!! Et cela va continuer comme ça jusqu'à là fin. 
Alors, je vous rassure, une fois que votre cerveau est en état de marche et que vous avez compris le principe, cela devient un immense plaisir de lecture, qui, pour ma part, m'a frustré, car je n'allais pas aussi vite que je le voulais, mais aussi excité pour l'expérience de lecture que ce roman me procurait. D'ailleurs, je retiendrais plus l'expérience de lecture que l'histoire en elle même qui pourrait sembler déjà lu...si l'auteur ne l'avait pas construire de cette manière. Mais, surtout, Jaume Cabré donne une bonne raison à sa façon d'écrire ce roman, en embrouillant les choses, en mélangeant les époques, et les narrations. Ce n'est pas seulement pour faire genre. C'est tout simplement là pour nous dire qu'Adria, le narrateur et l'auteur de cette longue lettre à sa femme Sara, et qu'il écrit à la fin de sa vie, perd la mémoire et que ses souvenirs et ses connaissances s'emmêlent dans son cerveau. 

Ahh, j'ai l'impression de ne rien vous dire, mais il y a tellement de choses dans ce roman, qui parle de l'amour (celui d'Adria pour Sara), mais aussi du manque d'amour (d'un enfant, Adria, qui n'aura jamais l'amour de ses parents), de la mort, du mal dans tout ce qu'il a de plus abject, du pardon, de la rédemption..mais aussi la culpabilité, même si parfois, nous n'héritons que des horreurs et des culpabilités de nos parents...de l'amitié, indéfectible...de la vie d'un homme, tout simplement. 
Je vais vous faire une confidence: malgré ses 780 pages, j'ai tout fait pour reculer l'échéance de tourner la dernière (en même temps, comment pourriez vous dire au revoir à un homme aussi attendrissant qu'Adria, avec qui vous avez passé 10 jours formidables)...et j'aurai voulu que le voyage continue encore un peu. 

Avant de finir ce billet, je voulais vous rassurer en vous disant que, même si les narrations, passant du "je" au "il", et les époques se chevauchent et s'entrecroisent, le livre est d'une fluidité dans le style qu'on ne s'y perd pas du tout. Il faut juste faire fonctionner ses petites cellules grises. Alors on met un peu plus de temps pour tourner les pages, mais l'effort vaut le détour. 

Et, pour finir, juste dire bravo au traducteur Edmond Raillard, qui a réussi à retranscrire dans notre langue ce texte magnifique. C'est aussi grâce à lui que ce texte est aussi fluide, aussi poétique, aussi beau, aussi touchant à lire. Merci monsieur Raillard! Vous avez fait un travail formidable. Mon plaisir de lecture et mon bonheur de lecteur sur ce livre, je vous le dois. 

Au final, et même si j'ai la forte impression que je n'ai pas pu tout retranscrire de ce que ce livre m'a fait vivre, voilà un roman inclassable, que je n'oublierai pas de sitôt. Un livre qui m'a touché au cerveau, tout d'abord (car il l'a fait travailler le bougre!) et qui a atteint le coeur. Adria est un personnage attachant, qui m'a ému aux larmes et dont le parcours rocambolesque, qui, de par ses connaissances, lui a "fait vivre" mille vies, est des plus enthousiasmants (même si parfois certains aspects sont choquants, mais cela fait aussi partie de la vie). 
Ma vie de lecteur avec Blonde de Joyce Carol Oates avait déjà était bouleversée et avait changé mes envies livresques. Avec Confiteor, celle ci vient encore de basculer vers un ailleurs que je ne connais pas encore. Il y aura un avant et un après Confiteor. Sauf que pour le moment, je ne sais pas de quoi il sera fait. En tout cas, mes prochaines lectures risquent de pâtir un peu de cette claque monumentale que m'a donné Confiteor. Et j'en suis désolé par avance. 


Jaume Cabré: Confiteor, (Jo Confesso), Actes Sud, 780 pages, 2013



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