mardi 5 juin 2018

Avenue des géants

4e de couverture: Al Kenner serait un adolescent ordinaire s’il ne mesurait pas près de 2,20 mètres et si son QI n’était pas supérieur à celui d’Einstein. Sa vie bascule par hasard le jour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Plus jamais il ne sera le même. Désormais, il entre en lutte contre ses mauvaises pensées. Observateur intransigeant d’une époque qui lui échappe, il mène seul un combat désespéré contre le mal qui l’habite. Inspiré d’un personnage réel, Avenue des Géants, récit du cheminement intérieur d'un tueur hors du commun, est aussi un hymne à la route, aux grands espaces, aux mouvements hippies, dans cette société américaine des années 60 en plein bouleversement, où le pacifisme s’illusionne dans les décombres de la guerre du Vietnam.

Après mon visionnage de la 1ère saison de Mindhunter qui m'a laissé pantois (mais aussi orphelin), j'avais envie de continuer à découvrir le monde crépusculaire des tueurs en séries. 
En fouillant dans ma PAL, deux livres s'offraient à moi. Si j'ai choisi de lire le roman de Marc Dugain, c'est en lisant ce nom dans la note d'auteur à la fin du livre (chose que je ne lis jamais d'habitude avant de commencer un livre): Ed Kemper, célèbre tueur en série, qui fait parti des personnages de la série, citée plus haut et dont Marc Dugain s'est inspiré pour le personnage de son roman. 
C'était donc ce livre qu'il fallait découvrir. 

Après lecture, je peux dire que celle ci ne me laisse pas indifférente, avec un petit malaise diffus tout au long de ma lecture. 
Marc Dugain entre dans la tête d'un tueur pour nous montrer tout ce qui l'obsède. Mais surtout, nous faire découvrir le parcours d'un monstre qui s'est battu contre ses démons tout au long de son adolescence et de sa vie de jeune adulte. C'est complètement perturbant, je vous l'accorde, mais cela veut dire surtout que si un malaise s'installe en lisant ce livre, c'est que Marc Dugain a réussi son roman. Ben oui, il a très bien cerné le personnage et comment pourrait on se sentir à l'aise avec un personnage comme Al Kenner (ersatz d'Ed Kemper)?

Cependant, même si j'ai trouvé ce roman très fort, brutal et dérangeant, j'y ai ressenti une forme de frustration et cela est dû à la construction du roman: en effet, Marc Dugain, va alterner les époques, passant du présent (les visites de Susan à Al dans sa prison, où il est lecteur pour des aveugles) au passé d'un chapitre à l'autre et d'une forme de narration à l'autre, passant allègrement du je (pour le passé d'Al) ou il/elle (pour le présent). Sauf que ce petit jeu de la part de l'auteur n'est finalement qu'une forme de frustration car le lecteur s'attend à lire les actes abjects et barbares d'Al, puisqu'il est une inspiration d'Ed Kemper (sauf que je soupçonne l'auteur d'en avoir fait l'impasse avec les chapitres du présent). Alors on en a, c'est vrai: on assiste au meurtre des grands-parents de Al, un certain 22 novembre 1963 (encore l'ombre de Kennedy, qui plane sur l'oeuvre de Marc Dugain), et son internement dans un hôpital psychiatrique, par la suite. Sauf qu'à sa sortie, Al, qui essaie de reprendre une vie normale, en imaginant intégrer la police (ce qu'il fait puisqu'il va aider le capitaine Duigan (un petit jeu de la part de l'auteur avec son propre nom) dans une enquête sur la disparition de deux jeunes femmes). 
Oui, mais voilà, n'oublions pas que nous sommes dans un roman, et que donc Al n'est qu'un personnage de papier, qui a des particularités avec le véritable Ed Kemper, mais cela s'arrête là. Marc Dugain le dit lui même dans sa note: "Romancer un personnage, c'est le trahir pour mieux servir ce que l'on pressent de sa réalité". 

C'est en relisant cette phrase que j'ai compris ma frustration et mon erreur: je m'attendais à lire une biographie romancée sur Ed Kemper alors que je n'étais que dans un roman qui nous plonge dans les méandres d'un esprit torturé. 
Alors, Marc Dugain le réussit parfaitement et j'ai passé des moments de lecture formidablement stressant mais j'attendais de lire les actes de Al, et plus j'avançais vers la fin du roman plus ceux ci n'arrivaient pas. Je sentais alors une sorte de déception...qui n'arriva pas, car la fin rattrapa tout. 
Marc Dugain nous offre un final exceptionnel qui va au delà de l'impensable et nous balance cette bombe qui nous explose en plein visage. C'est vraiment du grand art et la dernière phrase du livre, glaçante d'humour noir, va me rester longtemps en tête. 

Au final, un roman (car c'est ce qu'il est!) sur la psyché d'un monstre en puissance. En nous faisant entrer dans l'esprit d'un tueur, Marc Dugain nous donne à lire une autre page de l'Amérique: son côté le plus sombre. On pourrait être tenté par la déception, si l'on s'attend à lire un livre sur les actes d'un futur tueur en série, mais, à la fin, force est de reconnaître que l'on se trouve devant un grand roman maîtrisé jusqu'à la dernière phrase. Et qu'on en ressort lessivé et abattu. 

Marc Dugain: Avenue des géants, Folio, 420 pages, 2012


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