dimanche 26 septembre 2021

Rentrée Littéraire 2021 #14: Les Contreforts

 

Résumé: Au seuil des Corbières, les Testasecca habitent un château-fort fabuleux, fait d’une multitude anarchique de tourelles, de coursives, de chemins de ronde et de passages dérobés.

Clémence, dix-sept ans, bricoleuse de génie, rafistole le domaine au volant de son fidèle tracteur ; Pierre, quinze ans, hypersensible que sa sœur protège d’un amour rugueux, braconne dans les hauts plateaux ; Léon, le père, vigneron lyrique et bagarreur, voit ses pouvoirs décroître à mesure que la vieillesse le prend ; Diane, la mère, essaie tant bien que mal de gérer la propriété.
Ils sont ruinés. Dans l’incapacité d’assumer les coûts nécessaires à la préservation du domaine, ils sont menacés d’expulsion. Et la nature autour devient folle : des hordes de chevreuils désorientés ravagent les cultures.

Nouveau roman de Guillaume Sire, celui ci nous emporte dans le Sud de la France, dans sa région natale, les Corbières, en compagnie d'une famille atypique. 

Pour ma part, c'est ma première découverte de l'auteur, et je dois dire que je suis entré directement dans ce livre où je me suis senti bien. La famille Testasecca, propriétaire d'un château fort qu'ils ne peuvent plus entretenir vont devoir se battre contre l'administration, mais aussi contre la nature et contre le poids trop lourd du passé familial, représenté par ce château en ruines.  

La force de ce roman réside dans sa famille atypique: que ce soit Pierre, ado de 15 ans, solitaire, et qui va braconner dans les alentours, Clémence, sa soeur aînée, 17 ans, un génie du bricolage, qui tente par tous les moyens de réparer les tours et tourelles du château, leurs parents, Diane, femme forte qui essaie de gérer la propriété du mieux qu'elle peut et Léon, homme au caractère fort, bagarreur, bon vivant, mais qui sent la vieillesse le prendre peu à peu. On est de suite en empathie avec  cette famille de bourgeois déchus qui va se battre contre le reste du monde. 

De sa plume alerte, vivante, et poétique, Guillaume Sire nous embarque dans une lutte pour la survie d'une histoire familiale qui part peu à peu en ruines, comme le château dont ils ont la charge. C'est un livre drôle, par moments, aventureux, souvent, chargé d'histoire et rempli de légendes. J'ai trouvé cela magnifique, et je me suis laissé embarqué par ce rythme effréné, qui ménage son petit suspense, qui m'a tenu en haleine; tellement que je n'ai fait qu'une bouchée de ce roman, au ton enjoué qui progressivement nous emporte vers la tragédie. J'ai été surpris de bout en bout. 

Encore une fois, voici une belle surprise de la rentrée littéraire à laquelle je ne m'attendais pas. Un roman atypique, où le passé peut être lourd à porter pour des personnages attachants, qu'on a envie de voir réussir. Un roman rempli de poésie, où les légendes se tapissent dans la nature alentour et où la lutte est la seule porte de salut pour les Testasecca. Alors, laissez vous guider par Guillaume Sire dans ce village du Sud et profitez du voyage. Il est "fantabuleux". 



Guillaume Sire: Les Contreforts, Calmann Levy, 345 pages, 2021


 

vendredi 24 septembre 2021

Mère disparue

Résumé: Elle est allongée sur le sol du garage. Inerte. Ses jolis vêtements sont imprégnés de sang. Épouvantée, Nikki secoue sa mère. En vain. Devant ce corps déjà froid, elle doit se rendre à l’évidence : on l’a assassinée. Pour la retenir encore un peu, Nikki enquête auprès de ses proches, ose les questions qu’elle n’a pas eu le temps de poser. Les réponses ont un parfum de révélations…
 

Est-ce dû au fait que j'ai complété ma collection des livres de Joyce Carol Oates cette année (portant le nombre de volumes à 87 (et il m'en manque encore quelques uns) . Oui, 87 livres de Oates sont en ma possession (dans le lot, il y a  trois romans de J.C. Oates que je possède en deux exemplaires: en VO et en VF), mais j'ai une envie irrépressible de lire ses ouvrages. 

Ainsi, Mère disparue est le 4e ouvrage de J.C. Oates que je découvre en cette année 2021. Et encore une fois, je suis parti dans un genre complètement différent et j'adore ça. C'est aussi ce qui me fascine chez Mrs Oates: sa capacité à se balader dans plusieurs genres différents et le faire avec maestria à chaque fois. 

Dans Mère disparue, c'est la notion du deuil que l'auteure va explorer. En effet, Nikki, la protagoniste principale de cette histoire va perdre sa mère brutalement dans des circonstances tragiques. Le lecteur va alors la suivre durant son processus de l'acceptation du deuil et de son évolution, tant physique que psychologique. 

Qu'est ce que j'ai aimé ce livre (je pense même qu'il fera partie de mes préférés de l'auteure). Ici, il se dégage une telle peine, une telle tendresse envers son personnage, comme si l'auteure voulait l'accompagner sur ce chemin difficile. Bien sûr, la violence est encore présente mais elle n'est pas le coeur du livre. Elle n'est qu'une raison du deuil et surtout l'électrochoc qui fera que Nikki avancera et changera. 

Voilà un roman  bouleversant qui parlera à chacun: tout comme Nikki, qui n'a pas perdu un être cher et chercher à comprendre comment cela à pu arriver. Puis, commencer à chercher des réponses sur celle qu'on pensait connaître et qu'on découvre encore, en faisant le ménage et le tri dans ses affaires. En habitant la maison de ses parents et en faisant le tri dans leurs affaires, Nikki va découvrir des pans de la vie de sa mère qu'elle ignorait et qu'elle aurait peut être aimé ne jamais savoir. Ces fameux secrets que les parents cachent à leurs enfants et que ceux ci découvrent une fois que ceux ci sont partis. 

Un Oates bien différent de ses écrits habituels: le cynisme n'a pas vraiment sa place ici: il se dégage une certaine pudeur dans ce voyeurisme bienveillant (je sais, c'est contradictoire, mais je l'ai ressenti comme ça. le lecteur accompagne Nikki dans son voyage intérieur durant la première année de la mort de sa mère.). Entre ses relations conflictuelles avec sa soeur (qui démontre que chacun vit son deuil différemment puisque Clare prendra la fuite et sera plus virulente. Comme si, la mort de leur mère, avait inversé les rôles) et ses discussions avec les amis de sa mère, qui lui dévoileront bien des secrets, Nikki, se dévoile plus humaine et plus touchée qu'elle ne le montre au début du livre. Et surtout, elle devient plus apaisée à mesure que le temps passe. 

C'est fou, tout de même la capacité de Joyce Carol Oates, d'écrire un roman de plus de 500 pages dans lequel il ne se passe "rien" et où l'on ne s'ennuie pas une seule minute, où l'on est ému par la détresse de Nikki, où l'on se questionne sur notre propre rapport avec la mort et celle de ceux qu'on aime. 

Comme une sorte de catharsis, Joyce Carol Oates a écrit ce roman juste après la mort de sa mère, à qui elle dédie ce roman. En parlant de la souffrance et du deuil de Nikki, Joyce Carol Oates a probablement voulu parler de la sienne et l'exorciser dans un roman. Sa force est que de son histoire personnelle, elle en a fait quelque chose d'universel, qui parle à chacun d'entre nous. Grandiose. Probablement l'un de ses plus beaux romans et l'un de ceux qui m'a le plus touché. 


Joyce Carol Oates, Mère disparue, (Missing Mom), 514 pages, 2007



Rentrée Littéraire #13: Buenos Aires n'existe pas

Résumé: Il est l’Ulysse aux mille ruses de l’art moderne, le Français le plus connu de l’époque à New York avec Sarah Bernhardt. Mais pour l’heure, c’est juste un mince jeune homme au complet froissé qui sent le tabac froid. Nous sommes le 9 septembre 1918 et Marcel Duchamp, qui a fui les États-Unis, descend du Crofton Hall comme le parfait don nadie, Monsieur Tout-le-monde. Il cherche une Arcadie, un rivage un peu ouaté qui assourdisse le boucan de la guerre : ce sera Buenos Aires.
Mais ce que Duchamp ne sait pas à son arrivée, c’est que la ville parle mille langues, raffole des sciences occultes, ignore encore le cubisme et s’apprête à connaître la plus grande insurrection ouvrière de son histoire.


Quelle belle petite curiosité que ce récit de Benoit Coquil sur Marcel Duchamp et son passage en Argentine, vers la fin de la première guerre mondiale. 

Benoit Coquil arrive habilement à nous intéresser à son sujet en nous apprenant des choses sur la personnalité de Marcel Duchamp, mais aussi sur l'Argentine de cette époque là. Il fait un parallèle entre l'arrivée de Duchamp dans ce pays d'Amérique latine et la future grève que va connaître Buenos Aires en 1918. Il démontre surtout que Duchamp, toujours en fuite des conflits, ne sera pas au rendez-vous, même si, pour une fois, il est sur place. 

J'ai trouvé que ce livre était d'une vivacité élégante, un melting pot des genres: il y a le récit historique, que Benoit Coquil habille habilement de fiction (puisque de cette période sur Duchamp on ne sait pas grand chose. Ainsi, il fait plus un travail d'écrivain que d'historien, imaginant les situations et les dialogues que l'artiste aurait pu avoir) , mais aussi un côté psychologique quand on se penche sur la personnalité de Duchamp, sans oublier ces chapitres qui sont de véritables scènes de théâtre et construite comme telles. Puis, les interpellations que l'auteur fait au lecteur, comme un monsieur Loyal qui invite la foule a assister au spectacle.  Tout ceci donne un charme fou à ce petit texte qui nous apprend beaucoup sur cette période historique méconnue du grand public.

C'est également un livre sur les rendez-vous manqués: Duchamp ne va pas être au rendez-vous de l'histoire puisqu'il passera son temps dans sa chambre d'hôtel alors que la population se révolte. Mais il sera également arrivé trop tôt, pour assister à la naissance artistique de Buenos Aires. Tous ces artistes argentins qui vont émerger ne sont pas encore présent quand Duchamp débarque. D'ailleurs, Benoit Coquil s'amuse, dans ses derniers chapitres, à imaginer les rencontres que  Duchamp aurait pu faire  avec des artistes argentins, revenant alors à la fiction.  

En définitive, une bien belle surprise que ce Buenos Aires n'existe pas. Benoit Coquil se glisse dans la peau de cette ville en devenir, en mélangeant les langues dans ce pays ensoleillé. L'anglais, le français et l'espagnol se marient et se mélangent pour nous compter l'histoire de Duchamp, un artiste français, qui fuit le conflit mondial et qui sera absent au rendez-vous de l'histoire. Un livre étonnant qui vous promet un voyage fabuleux à travers la petite et la grande Histoire. Ne manquez pas ce rendez-vous avec ce livre, comme à pu le faire Duchamp avec l'Argentine,  à son époque. 


Benoit Coquil, Buenos Aires n'existe pas, Flammarion, 200 pages, 2021
 



dimanche 19 septembre 2021

Rentrée Littéraire #12: Les ombres filantes

Depuis son premier roman, Le fil des kilomètres, Christian Guay Poliquin construit une oeuvre atypique, à la frontière des genres. Surtout, il tisse un lien entre tous ses livres, avec pour point commun, le même narrateur. 

Dans Le fil des kilomètres (que je n'ai pas encore lu), le narrateur, mécanicien, prend la route pour retrouver son père; dans Le poids de la neige (qui remporta un grand succès auprès du public), celui ci, blessé, se retrouve confiné dans un village bloqué par la neige; et voici que dans Les ombres filantes, ce même narrateur poursuit sa route en forêt pour rejoindre le camp de chasse de sa famille où il pense retrouver les siens. 

Alors, je vous rassure, pas besoin d'avoir lu les livres précédents pour comprendre celui ci. Christian Guay Poliquin réussit à faire que chaque livre trouve son ton et son indépendance. Seul, le narrateur (qui n'a pas de nom) et la fameuse panne d'électricité qui bloque le monde dans lequel il vit sont présent dans tous ses livres. 

J'ai découvert la plume de Christian Guay Poliquin avec son précédent roman Le poids de la neige. Un roman que j'avais beaucoup aimé et trouvé très original par le mélange des genres et l'ambiance que l'auteur avait installé. Ce huis clos oppressant ménageait son lot de suspense. 

En apprenant que son nouveau roman sortait, je n'avais qu'une hâte: le découvrir et poursuivre l'aventure. Je dois dire qu'encore une fois, Christian Guay Poliquin a su me surprendre, de par sa plume ciselée et poétique, et par ce mélange des genres qu'il maitrise si bien. Le monde dystopique est toujours là, de par la panne électrique qui bloque le pays, et dont on ne connait pas l'origine. Mais ici, fini la neige et le huis clos, bienvenu en été et en pleine nature: nous sommes donc dans un nature writing comme les grands auteurs américains savent les écrire. Tout comme le narrateur, on s'enfonce dans cette forêt parfois hostile où le but est de survivre. Les descriptions de la nature et les moments de chasse et de tensions retranscrivent cela à merveille. Par moments, ce livre a un petit côté western où c'est la loi du plus fort et le chacun pour soi qui l'emporte (surtout dans la partie La Famille). 

Durant son périple, le narrateur rencontre sur sa route un petit garçon qui dit se nommer Olio. Ce dernier va suivre le narrateur dans sa quête. J'ai aimé la relation qui se tisse entre les deux, ils se soutiennent malgré les embûches et les mensonges du petit Olio (ce qui apporte un mystère supplémentaire à l'histoire. Ils restent unis et leur relation va grandir et donner un sens à ce que cherche le narrateur: retrouver une famille pour se sentir moins seul. D'ailleurs, l'arrivée d'Olio dans la vie du narrateur m'a beaucoup fait penser au "Petit Prince" de Saint Exupéry. 

Pour moi, Christian Guay Poliquin est un auteur "atmosphérique": il sait installer une atmosphère souvent hostile (et encore plus dans ce livre là) qui emmène le lecteur très loin et ne lui fait plus lâcher le livre. Je vous assure que vous plonger entièrement dans un roman de Christian, c'est prendre le risque de ne plus en sortir avant le mot final. 

Justement, on en parle de ce final! Celui ci risque de faire débat et en faire grincer plus d'un. Honnêtement, j'ai été scotché par cette fin ouverte qui m'a fait détester et maudire l'auteur pour un moment. C'est pas humain de terminer un livre comme ça. Je me suis même dit: "Il a pas le droit!" Pourtant, l'auteur à tous les droits et pouvoirs sur son oeuvre et ses personnages.  Même celui de continuer l'aventure avec ce narrateur sans nom dans un prochain volet  ou de l'achever avec ces Ombres filantes

En tout cas, la dernière phrase du livre , surprenante,  va me rester en tête encore longtemps et donne peut être un sens sur la quête du narrateur. 

Vous l'aurez compris, je suis complètement tombé en amour de cet auteur charmant,  de sa plume et de son univers atypique. Un auteur que je  continuerai à suivre, c'est certain, même s'il m'a mis en colère avec sa fin. En tout cas, je vous encourage vivement à le découvrir. Vous ne serez pas déçu. Christian Guay Poliquin vaut le coup d'être connu du plus grand nombre. Pour moi, il sort du lot et des sentiers battus. 



Christian Guay Poliquin: les ombres filantes, La Peuplade, 336 pages, 2021








 

vendredi 17 septembre 2021

Le Pays bleu Tome 1: Les cailloux bleus

 

Résumé: Ils s'appellent Etienne, Abel, Philomène et Mélanie. Ils ont vingt-trois, quatorze, dix et six ans quand nait le XXème siècle. Enfants de pauvres métayers du Causse de Granger (Lot) - et Dieu sait ce qu'il en allait d'être pauvres et métayers dans ces années-là et sur leur terre de misère ! - , ils ne peuvent choisir qu'entre le départ ou la soumission.

Voici l'histoire d'une famille, d'une terre, d'un village et d'une époque où chaque français d'aujourd'hui peut reconnaître les siens. Ici, tout est vrai et juste : les actes, les paroles, les pensées, les sentiments. Ici, se respirent l'air du Causse, glacé ou brûlant, et le parfum des pierres et des genévriers.


Lire un "Christian Signol", c'est retrouver une part de mon enfance. Lire un "Christian Signol", c'est retisser un lien entre ma grand-mère, dont M. Signol était son auteur préféré, et moi. C'est retrouver une France qui n'existe plus mais qui nous a construit. 

Pour moi, Christian Signol, c'est toute mon adolescence. Lors des vacances d'été, que je passais chez ma grand-mère, je fouillais avec plaisir et envie dans le meuble où elle rangeait ses livres et j'y trouvais des petits trésors, quelques romances, mais surtout des romans du Terroir qui me faisait rêver, moi petit garçon des villes. 

Je lis depuis que je sais lire et je n'ai jamais arrêté. Je suis passé des albums pour enfants, de la bibliothèque rose (Fantômette, Le Club des cinq), à la bibliothèque verte (les Six Compagnons, Alice, Les enquêtes de Sans Atout), mais à partir de 12 ans, je suis passé aux lectures pour grands (la littérature ado n'avait pas encore la production qu'elle a maintenant). C'est ainsi que j'ai fouillé dans la bibliothèque de ma maman...puis, pendant les vacances d'été, les livres de ma grand-mère. C'est ainsi que j'ai découvert cette littérature du Terroir, que ma grand-mère adorait. Des auteurs comme Claude Michelet ( "Des Grives aux Loups"), Gilbert Bordes ("La nuit des Hulottes), Michel Jeury ("Le vrai goût de la vie") et Christian Signol. De lui, j'avais lu "Le chemin des Etoiles", "Marie des Brebis", "Les Chênes d'Or". Puis, j'ai grandi encore et je me suis lassé de cette littérature régionale. 

Pourtant, j'y suis revenu il y a quelques années, come on revient au pays de son enfance. Et c'est vrai, qu'à chaque fois que j'ouvre un livre de cette belle littérature, je redeviens l'adolescent qui rêvait d'une vie meilleure. 

"Les Cailloux bleus", premier tome de la saga de la famille Laborie, est le premier succès de Christian Signol. Je ne l'avais jamais lu. et je me suis plongé dedans comme on revient à l'origine des temps. Que ce fut bon de retrouver ce passé que l'on croit si loin alors qu'il n'a qu'un siècle. Ce livre, c'est le passage d'un siècle à un autre (celui du XXe siècle), celui qui va voir les plus grands changements. Et les quatre enfants de la famille Laborie, Etienne, Philomène, Abel et Mélanie vont voir ce monde changer sous leurs yeux. 

Que j'ai aimé me laisser bercer par les saisons qui passent, par les travaux des champs, par les bonheurs (les noëls d'antan, les baptêmes), et les malheurs (la famille Laborie ne va pas être épargnée). C'est aussi une campagne qui vit encore comme au temps du Moyen-Âge: Guillaume Laborie est un simple métayer qui travaille pour un propriétaire terrien. Sa terre ne lui appartient pas et ses fils s'en indignent. De nouvelles idées d'égalité viennent chambouler ces jeunes têtes, dont le visage de Jean Jaurès est la figure de proue. Etienne, en bisbille avec son père, partira pour l'Algérie, Abel voudra devenir sabotier. Seule Philomène continuera la vie de ses parents, en s'occupant d'eux. Elle fera la connaissance d'Adrien, dont elle tombera amoureuse. 

On va ainsi suivre ces personnages durant les 20 premières années de ce XXe siècle qui va connaitre des avancées industrielles (avec les premières moissonneuses batteuses), mais aussi une première guerre, qui va faire des milliers de morts. De sa plume tendre et délicate, Christian Signol ressuscite nos ancêtres et parle de notre France et de cette belle région du Périgord. Philomène, c'est notre grand-mère, c'est la France d'autrefois. Qu'il fut bon de retrouver cette petite part d'enfance qui m'avait manqué. Je compte bien y retourner, ne serait ce déjà qu'avec le 2e tome de cette saga: "les menthes sauvages". 

Christian Signol: Les cailloux bleus (Le Pays Bleu, tome 1), Pocket, 605 pages, 1984






dimanche 12 septembre 2021

Rentrée Littéraire #11: L'Amour et la Violence

 

Résumé: Valentin a l’âge d’aller à l’école et n’a toujours pas de nom. Pas de nom, pas d’existence dans la Cité où sa mère et lui sont entrés par effraction avant que le régime de séparation relègue la multitude à son sort. Bien décidé à accomplir son ascension très haut, tout en haut, il est rattrapé par le passé de sa mère, les soubresauts de sa mémoire, les tremblements d’une société obsédée par l’ordre, la paix et la volupté. Par le réel et l’irréel. Par Arsène, surtout, que Valentin rencontre alors qu’il vient d’avoir vingt ans, et les garde-fous qui s’effondrent d’un seul coup. Jusqu’à la fin, on le suit dans une lutte féroce avec l’amour, la révolte, la vérité, ou plutôt avec les formes qu’ils ont prises dans une société qui en étouffe jusqu’au désir.


Premier roman surprenant d'une jeune auteure au potentiel littéraire d'une très grande force, cet "Amour et la Violence" nous parle de sujets universels et antagonistes dans un monde dystopique pourtant pas si éloigné du nôtre. 

Je dois dire que ce livre m'avait attiré l'oeil, de par sa superbe couverture et de par son titre puissant, et le résumé intriguant avait fait le reste. C'est donc avec plaisir et impatience que je me suis lancé dans ma lecture...et je dois dire qu'il va m'être difficile d'en parler. Tout au long de ma lecture, je me suis posé la question de savoir quel sentiment me procurait le livre. Je n'arrivais pas a mettre des mots sur ce que je ressentais (et je ne sais toujours pas si ce sera le cas, au moment où j'écris ces lignes). 

En fait, je me suis senti un peu perdu dans ce roman, qui commence par une partie (Gabrielle) nébuleuse où le protagoniste principal, Valentin, ne sait plus vraiment qui il est et ne se souvient plus de sa vie d'avant, ayant subi une perte de mémoire forcée. Puis, ses souvenirs reviennent peu à peu et voilà que Valentin nous raconte son histoire et nous embarque dans ce monde nébuleux, qu'il va nous présenter dans toutes ses strates. Et malgré cela, je me suis senti toujours perdu, même si l'auteure nous prend par la main pour nous expliquer le monde dans lequel vit Valentin et tout le petit monde qui l'entoure. Je crois surtout que j'ai un petit peu de mal à m'imaginer des mondes dystopiques, tout simplement. 

Cependant, je ne détestais pas ce que je lisais et surtout, je voulais comprendre comment Valentin avait fait pour en arriver à être perçu comme un criminel de haut grade. Ce suspense là m'a tenu en haleine et m'a fait avancer dans le livre. Puis, vers les trois quart du roman, tout à commencé à s'éclairer et à mieux suivre l'histoire. 

Diana Fillipova nous offre avec son premier livre un roman d'une force politique indéniable, une critique de la société qui sépare les pauvres et les riches dans deux mondes distincts. Et Valentin, jeune garçon venu des Confins (le monde pauvre de cet univers), que sa mère fuit pour aller dans la Cité (le monde des classes moyennes et des riches) est le passeur et notre guide des ces deux mondes là. Je sais pas, en lisant ce livre, j'y ai vu comme une critique de la Russie d'aujourd'hui, mais aussi celle d'hier. Une critique des mondes totalitaires en général qui asservissent les pauvres pour donner aux riches. Alors, je me trompe peut être, mais c'est ce que j'ai ressenti en lisant ce livre. 

Dans L'Amour et la Violence, cette dualité est de suite contenu dans le titre: Valentin a cette dualité là en lui. Il recherche souvent l'amour mais c'est la violence dans ses rapports avec les autres qui prend parfois le dessus. Cette dualité antagoniste se retrouve dans beaucoup de personnages. Mais, c'est ce qui permettra à Valentin de gravir les échelons de ce monde cruel qui n'est peut être pas fait pour lui. Il va ainsi faire son apprentissage de la vie dans un monde où la cruauté à toute sa place, et la crudité de certaines scènes nous emmène loin dans cette cruauté. En tout cas, on ne ressort pas totalement indemne de la Cité, tout comme Valentin. 

Au final, un roman surprenant, entre dystopie, roman social et politique, qui nous bouscule pour mieux nous interroger sur notre monde. Un roman dans lequel j'ai eu du mal à me faire une idée pendant longtemps mais qui m'a happé tout entier pour ne me livrer ses secrets qu'à la quasi toute fin. D'ailleurs, je pense que ce livre mériterait une relecture pour comprendre toutes les strates de compréhension de lecture qu'il comporte. Un roman qui ne laisse pas indifférent et qui nous interroge sur notre monde actuel et ce qu'il est en train de devenir. Alors, c'est pas joyeux, mais il ne tient qu'à nous de le changer...comme veut le faire Valentin et ses proches...au risque de tout perdre.


Diana Fillipova: L'Amour et la Violence, Flammarion, 348 pages, 2021





vendredi 10 septembre 2021

Son espionne royale mène l'enquête

 

Résumé: Londres, 1932.

Lady Victoria Georgiana Charlotte Eugenie, fille du duc de Glen Garry et Rannoch, trente-quatrième héritière du trône britannique, est complètement fauchée depuis que son demi-frère lui a coupé les vivres. Et voilà qu'en plus ce dernier veut la marier à un prince roumain !
Georgie, qui refuse qu'on lui dicte sa vie, s'enfuit à Londres pour échapper à cette funeste promesse de mariage : elle va devoir apprendre à se débrouiller par elle-même.
Mais le lendemain de son arrivée dans la capitale, la reine la convoque à Buckingham pour la charger d'une mission pour le moins insolite : espionner son fils, le prince de Galles, qui fricote avec une certaine Américaine...

Depuis quelques années, le "Cosy Mystery" (ou "Cosy Murder") a le vent en poupe, et ce, depuis le succès d'une certaine enquêtrice du nom d'Agatha Raisin. C'est ainsi qu'on a pu voir débarquer pléthore de séries de livres sur des enquêtrices amatrices qui se prennent pour Sherlock Holmes. 

N'oublions pas cependant que le Cosy Mystery existe depuis bien plus longtemps et que la créatrice de ce genre là est la Reine incontestée du crime Agatha Christie avec sa célèbre Miss Marple. Car, le Cosy Mystery, qu'est ce que c'est: ce sont des enquêtes menée par des femmes qui ne travaillent pas dans la police et qui vont devoir résoudre le plus souvent un meurtre, qui s'est passé dans leur entourage. Ces Cosy Mystery se déroulent souvent dans un petit village anglais...Tout comme Miss Marple, vivant à St Mary Mead, petite bourgade anglaise, où il y a toujours des disparitions ou des meurtres. Quand je vous disais que Miss Agatha avait inventé le genre (c'est probablement pour ça que MC Beaton a nommé son héroïne Agatha, en souvenir de la "Reine du Crime"); 

Comme vous le savez, je suis curieux de beaucoup de choses et je voulais tenter ce "nouveau phénomène littéraire" (même si je l'ai déjà testé en lisant pratiquement tous les Miss Marple d'Agatha Christie). Mais il y en a tellement que laquelle découvrir. En parcourant le rayon policier, mon regard s'est attardé sur la série de Rhys Bowen "Son espionne royale". Elle m'a attiré de par son environnement: en effet, ici, nous sommes à Londres (et pas à la campagne), dans les années 30, avec une aristocrate déchue (ne nous mentons pas, la demoiselle n'a plus un sou) qui fait partie de la famille royale d'Angleterre. Idée saugrenue, mais pourquoi pas. 

Cette série et ce premier tome, furent fort plaisant à lire. C'est cosy (forcément), cocasse et drôle, et très intéressant du point de vue social. Car, voir cette jeune aristocrate sans le sou se démener pour s'en sortir dans le Londres des années 30 est fort drôle. Alors, il est vrai que la famille royale anglaise a une petite part dans l'histoire et leur Histoire est racontée (ici, par exemple, la relation naissante entre le fils du Roi et de la Reine, David, qui entame une liaison avec une américaine quasi divorcée), mais il n'est pas nécessaire de connaître La Famille Royale d'Angleterre sur le bout des doigts pour s'y retrouver. Ces éléments historiques sont souvent connu du plus grand nombre. 

Alors, comme souvent dans ce premier tome, on a une longue mis en place (et je me suis même demandé si une intrigue policière allait avoir lieue dans ce tome, tellement je ne la voyais pas venir), mais celle ci est plaisante à lire, car on découvre la nouvelle vie de Georgiana, à Londres, après avoir entendu une discussion entre son frère et sa femme pour lui arranger un futur mariage avec un prétendant. Elle décide alors de plier bagage pour la capitale et chercher un moyen de survivre dans cette grande ville. 
Et comme souvent, dans ce genre de livre, l'héroïne va se retrouver dans le pétrin et devenir détective par hasard pour sauver sa peau et prouver son innocence. Alors cela ne casse pas trois pattes à un canard, mais c'est fort divertissant. J'ai aimé la personnalité de Georgie, ses démêlés avec la famille Royale, son amitié avec Belinda, les situations parfois impossibles dans lesquelles elle se trouve. On passe un bon moment de lecture, et je pense qu'il ne faut pas demander plus à ce genre de livre. 

Bon, en revanche, j'ai trouvé que la résolution de l'enquête est arrivée brusquement: pour tout vous dire, Georgie n'avait pas encore l'ombre d'un coupable une cinquantaine de pages avant la fin et dix pages plus loin, elle avait trouvée. Youhou! Une longue mise en place avant le grand embêtement pour Georgie, pour une résolution en deux minutes. C'était un peu trop rapide, même s'il y a des révélations que je n'ai pas vu venir. Mais je suis généralement bon public pour les intrigues policières et me laisse souvent porter. Enfin, j'espère que pour les autres tomes, la résolution ne viendra pas à Georgie comme une illumination...et surtout que l'auteure laissera un peu chercher le lecteur pour que lui aussi puisse résoudre l'enquête (comme le faisait si bien Agatha Christie dans ses romans).

Au final, un bon début pour une série drôle, sympathique et intéressante sur l'époque qu'elle raconte (les années 30), avec une héroïne combattante, parfois naïve mais qui essaye de s'en sortir. J'ai passé un bon moment de lecture et je compte bien lire la suite. 

Rhys Bowen: Son Espionne Royale mène l'enquête, (The Royal Spyness), France Loisirs, 341 pages, 2019)



mercredi 8 septembre 2021

Rentrée Littéraire #10: Souvenirs du rivage des morts

Résumé: M. Mizuno coule une retraite heureuse après une vie sans histoire. Du moins c’est l’image qu’il s’applique à donner. Car son vrai nom est Yasukazu Sanso, ancien activiste de l’Armée rouge japonaise ayant déjà tué, et de sang-froid. La rencontre fortuite, à Bangkok, avec un vieux camarade va déclencher la mécanique implacable du souvenir. Comment, en quête d’idéal, s’est-il laissé embrigader dans les mouvements universitaires des années 1960 ? Comment, suite aux dérives d’une faction se livrant à des purges insensées, a-t-il rejoint les camps d’entraînement palestiniens au Liban, dans l’espoir de prouver qu’il est un vrai communiste ?


Dans son nouveau roman, Michaël Prazan va nous plonger dans l'Histoire du terrorisme international des années 70, à travers un vieil homme qui va se souvenir de ses années de jeunesse, quand il faisait parti de l'Armée Rouge Révolutionnaire japonaise. 

Comment vous dire, ce livre fut un véritable parcours du combattant, qui m'a complètement soufflé, tout autant que horrifié devant les actes commis par les membres de cette organisation. D'un style incisif et percutant, fait de petites phrases qui vous frappent en plein visage (l'utilisation de certaines onomatopées représentant le bruits des balles, des bombes, de la pluie, des coups, etc... vous immergent encore plus et vous fait ressentir tout ce que vivent les protagonistes), avec une acuité viscérale qui ne vous lâche pas. 

Heureusement, Michaël Prazan a décidé de construire son histoire sur deux temporalités: celle du présent où on suit M. Mizuno, un grand-père, en vacances avec sa belle-fille et ses petits enfants à Bangkok, et qui rencontre dans l'hôtel où ils se sont installés, un Allemand, une vieille connaissance du temps où M. Mizuno était un terroriste et qu'il s'appelait Yasukasu. Cette rencontre va alors faire resurgir des souvenirs de ce temps là. C'est ainsi qu'arrive la temporalité du passé, qui va revenir sur les années de terrorisme de Yasukazu, de son entrée dans l'Armée Rouge révolutionnaire, lorsqu'il était étudiant, à ses années de terrorisme à travers le monde. 

Alors, pourquoi cette double temporalité est bienvenue? Tout simplement, les chapitres concernant le passé vont être les passages les plus difficiles à lire: l'auteur nous immerge complètement dans cette époque et ne nous épargne rien. Les passages sont d'une telle violence et parfois les actes d'une telle absurdité morbide (je repense à ce qui se passe à Nagano et au passage de l'auto-critique des membres de l'Armée Rouge qui n'a aucun sens et qui tourne au massacre), que le lecteur, passif, tout comme Yasu, se voit démuni et désemparé. L'auteur joue avec nos nerfs, en nous laissant toutefois, respirer et reprendre notre souffle et nos esprits avec les chapitres du présent, qui sont comme des respirations, avant de replonger dans l'enfer. En fait, les cauchemars qui assaillent M. Mizuno, alias Yasukazu, l'auteur nous les fait revivre avec toute la portée psychologique qu'ils comportent. Mais, comme il l'écrit si bien: 

"Certains souvenirs sont comme des bombes à fragmentation. On n'en vient jamais à bout. (p. 157)

Ce livre raconte tout simplement, le chemin vers une certaine rédemption que le personnage principal à recherché toute sa vie. Tout au long du roman, j'ai eu l'impression que Yasu s'est retrouvé embarqué dans cette histoire par hasard et qu'il est devenu terroriste par erreur. Un jeune homme rêvant d'idéalisme qui s'est fait embrigader, et qui fait tout pour retrouver sa liberté. 

C'est passionnant, super addictif par moment, certes il faut avoir le coeur bien accroché, mais je pense que vous serez, comme moi, pris dans l'engrenage de l'écriture hypnotique de Michaël Prazan. La force aussi, c'est que, dès le départ, on sait que Yasu se sort de toutes les situations périlleuses dans lesquelles il va se trouver, mais Michael Prazan sait maintenir un suspense insoutenable qui nous laisse pantois et nous fait tourner les pages afin de savoir comment Yasu va se sortir de cette situation inextricable, et ce jusqu'à l'avant-avant dernier chapitre. 

Il faut maintenant que je vous parle de la fin (sans rien dévoiler, c'est promis): le roman étant construit sur deux temporalités, il fallait bien que ces deux histoires aient sa propre conclusion, celle du passé et celle du présent. Habituellement, la conclusion du passé arrive avant celle du présent. Ici, Michael Prazan a décidé du contraire. Je me suis d'ailleurs fait la réflexion: "tiens, le roman aurait pu se terminer là...oui, mais comme le chapitre précédent, sur le passé, nous laissait sur un suspense insoutenable concernant Yasu, je veux savoir comment il s'en est sorti". Et là, vient le dernier chapitre: celui-ci va nous laisser sur un dernier choc qui nous percute de plein fouet et va nous rester en tête pendant longtemps. En faisant ce choix, Michael Prazan garde la puissance du roman intacte qui laissera une trace dans notre esprit, là, où la fin du présent, si elle était arrivé avec le point final, aurait fait retomber le soufflé. Un choix judicieux. 

Au final, un roman percutant sur le terrorisme international des années 70,qui joue avec nos nerfs, et nous embarque dans un monde que je n'étais pas prêt à découvrir, mais qui m'a scotché avec son style incisif et hypnotique. Ce Souvenirs du rivage des morts marquera probablement cette rentrée littéraire 2021, de par son sujet, mais aussi par la puissance qu'il dégage. En tout cas, je l'espère fortement. Ce roman, et Michaël Prazan, le méritent. 


Merci aux Editions Rivages pour ce voyage dont je ne reviendrai pas totalement indemne. 


Michaël Prazan: Souvenirs du rivage des morts, Rivages, 364 pages, 2021




 


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mardi 7 septembre 2021

Rentrée Littéraire 2021 #9: L'embuscade

 

Résumé: Nuit d’août. Dans la chambre flotte le parfum de Cédric. Un mois et demi que ce soldat des forces spéciales est en mission. Un mois et demi que Clémence attend son retour avec leurs trois garçons.


Au petit matin, une délégation militaire sonne à la porte. L’adjudant Cédric Delmas est tombé dans une embuscade avec cinq de ses camarades.

Aux côtés d’autres femmes, épouses de soldats elles aussi, Clémence se retrouve malgré elle plongée dans la guerre secrète menée par la France au Levant. Avec ces questions lancinantes : que s’est-il réellement passé lors de l’attaque ? Et pourquoi l’armée garde-t-elle le mystère ?

Pour son 2e roman, Emilie Guillaumin continue d'explorer l'univers souvent secret de l'armée, univers que l'auteure connait bien pour en avoir fait partie pendant 2 ans. Seulement, cette fois ci, elle se concentre sur les personnes qui côtoient ces militaires: leurs femmes et leurs compagnes, et parle d'un sujet douloureux: la perte d'un être aimé, mort au combat...mais pas seulement. 

D'habitude, les romans qui parlent de la guerre et de son quotidien, d'état islamique, de Daesh et consort, je fuis comme la peste. Ce n'est pas un sujet qui m'attire outre mesure. Pourtant, avec L'embuscade, j'ai été intrigué par le résumé. Puis, même s'il est question de guerre, ce qui importe plus ici, c'est le point de vue des femmes restées à la maison, dans l'attente, et de cette fameuse visite que personne ne veut recevoir: celle de deux soldats, de bon matin, venus vous annoncer que votre mari est tombé au combat. 

Je dois dire que j'ai été happé de suite par l'histoire. De sa plume directe et addictive, Emilie Guillaumin met des mots sur les différentes souffrances que peuvent ressentir ces 4 femmes à qui on annonce que leur mari est mort au combat: il y a celle qui s'effondre (Myriam), celle qui va de l'avant, (Carine), celle qui ne sait pas où trouver sa place dans ce deuil (Manon, qui doit composer avec les parents de son compagnon disparu) et il y a celle qui refuse de baisser les bras et de vouloir savoir à tout prix ce qui s'est passé (l'héroïne de cette histoire, Clémence). 
Alors, Clémence n'est pas dans le déni: elle sent que Cédric, son mari n'est pas mort et elle se lance, à corps perdu, dans sa propre enquête pour savoir ce qui s'est réellement passé cette fameuse nuit, bravant l'armée qui, comme à son habitude, ne dit pas tout. 

Emilie Guillaumin nous prend par la main, et nous emmène dans les arcanes secrètes de cette grande muette (l'armée) en la personne de Clémence, qui a un pied dedans, mais pas totalement, car, même les proches sont souvent mis à l'écart par l'armée. L'auteure nous instruit sur cette grande inconnue, en nous proposant un suspense maintenu jusqu'à la fin. Honnêtement, j'ai élaboré des théories, et je pensais même avoir raison sur l'une d'entre elle. Eh bien, l'auteure a su me détromper en offrant un final des plus émouvants. 

Non, franchement, belle surprise que cette Embuscade qui nous embarque dans le monde fermé de l'armée. C'est passionnant, addictif, et c'est surtout un beau portrait de femme combative, qui cherchera à tout prix la vérité, pour le bonheur de ses enfants. C'est également le superbe portrait d'un homme (Cédric) qui fera tout pour sa patrie, mais également pour sa famille. En vérité, une belle petite surprise que ce roman,  en cette rentrée littéraire. 

Emilie Guillaumin: L'embuscade, Harper Collins, 295 pages, 2021



dimanche 5 septembre 2021

Rentrée Littéraire 2021 #8: 907 fois Camille

Résumé: C’est l’histoire vraie de Camille, fille de. Pas d’un acteur ni d’un chanteur, mais du proxénète notoire Dodo la Saumure. Depuis l’enfance, Camille compose avec l’absence de ce père occupé par ses maisons closes et ses allers-retours en prison. Camille grandit dans la honte et les secrets de famille avec une seule question : comment devenir une femme dans l’ombre d’un père qui en exploite tant ?
L’expérience de Camille est universelle, car elle illustre la place et le combat de toutes ces femmes aux prises avec des hommes qui les méprisent, les dupent, les utilisent pour dominer et triompher.

C’est aussi l’histoire d’un écrivain, Julien Dufresne-Lamy, qui pour raconter son amie Camille reprend la narration depuis l’origine. Il interroge l’écriture et les souvenirs enfouis de son héroïne en se demandant sans cesse : comment écrire le vrai, la vie d’une autre, l’amitié sans trahir la littérature ?
 

C'est toujours un plaisir de retrouver un écrivain dont on apprécie la plume. Chaque année, Julien Dufresne Lamy revient avec un roman sur un thème social fort. Après les drag Queen (en 2019) avec "Jolis jolis monstres", et la transidentité (en 2020) avec le sublime "Mon père, ma mère, mes tremblements de terre", le thème social abordé ici semble être le proxénétisme. 

Quand je dis semble, c'est que pour moi, le thème central du livre n'est pas vraiment celui là. Bien sûr il est présent mais je trouve que deux thèmes sortent du lot dans ce livre: celui de l'amitié, l'amitié indéfectible entre deux personnes qui s'admirent mutuellement, j'ai l'impression. Et l'autre thème serait pour moi, le rapport à l'écriture et le lien entre fiction et réalité. 

Par rapport à l'amitié, je trouve que Julien donne un superbe visage à cette notion. Le livre qu'il offre à Camille est un bel hommage à leur amitié et un joli cadeau. De plus, il permet à Camille de devenir "éternelle" en la transformant en personnage de roman. Elle n'est plus simplement fille de proxénète (ce qui aurait pu être le cas si ce livre avait été un simple témoignage de sa vie), mais un personnage fabuleux de femme libre et indépendante qui a su s'affranchir d'un père absent, en construisant sa propre cellule familiale avec Thomas, son compagnon, et leur fille Diane. Camille a une telle chance d'être aimé ainsi par Julien, car il lui offre le plus bel écrin qui soit: un beau portrait qui restera gravé dans le temps. 

En parallèle, Julien parle de son métier d'écrivain et son rapport à lui. Il nous fait entrevoir le processus de création et s'interroge sur le lien très fin qu'il y a entre fiction et réalité. Comment faire des éléments de faits divers, un véritable objet de fiction. Julien a toujours mélangé des éléments du réel dans ses romans, et ce dès le premier. Des vrais gens ont toujours côtoyé des êtres de fictions que ce soit dans "jolis jolis monstres" ou "Deux cigarettes dans le noir" (avec le portrait admiratif de Pina Bausch). Julien a toujours su mêler les deux, en faisant disparaitre cette frontière invisible entre fiction et réalité. Sauf qu'ici, le procédé n'est pas  le même: Camille, une vraie personne va se transformer sous les doigts de Julien, en personnage de fiction. Ici, point de personnage imaginaire, mais le processus de création est quand même là, car Julien va faire marcher son imagination en s'emparant avec justesse et empathie, des souvenirs que lui raconte Camille. 

Alors, je dois dire que "907 fois Camille" ne sera pas un de mes "Dufresne Lamy" préféré. Bien sûr, j'ai aimé retrouver la plume bienveillante, douce et précise de Julien, son univers, mais le procédé que j'explique plus haut, m'a un peu sorti de ce livre. J'ai aimé lire ce livre, mais j'ai eu l'impression de plus lire un récit qu'un roman. Le côté journalistique de Julien, qui transparait dans tous ses romans, (je me souviens des informations qu'il donnait sur la transidentité (dans "Mon père, ma mère, mes tremblements de terre") ou sur le monde des Drag Queen (dans "Jolis jolis monstres) a été plus présent et plus visible dans "907 fois Camille". Là où dans ses autres romans, j'ai réussi à m'attacher aux personnages et à l'histoire, ici, le côté réel a plus pris le pas sur la fiction. C'est fort bien écrit et très intéressant, mais je suis resté un peu en dehors, comme le spectateur d'un documentaire. Ce qui n'enlève en rien la qualité indéniable de ce livre. 

Pour finir, je voudrais rajouter que ce livre n'est pas pour moi un livre sur le proxénétisme et sur Dodo la Saumure, en particulier. Il se trouve que ce dernier est le père de Camille, l'amie de Julien, mais il aurait pu en être autrement, et cela n'aurait rien changé au livre, Camille en étant le point central. Le père de Camille est juste une ombre qui traverse le livre et ne fait que passer. En fait, ce livre parle tout simplement des femmes et de leur courage. Le courage de faire le plus vieux métier du monde, commandé par des hommes, le courage d'élever seule son enfant et de lui donner la plus belle vie possible. le courage de se construire sans image paternelle et surtout de s'en détacher pour se construire sa propre cellule familiale. Ce que je retiens de ce livre, c'est que dans l'écriture de Julien se retrouve cet amour qu'il a des femmes. En peignant de ses jolis mots, le portrait de Camille, il rend un hommage à toutes ces femmes qui, même sous le joug des hommes, essaient de s'en sortir et de se montrer fortes. 

En écrivant ce livre sur son amie Camille, Julien Dufresne Lamy continue de se livrer sur son parcours d'écrivain et son rapport à l'écriture, en rendant un hommage à toutes ces femmes courageuses, qui essaient de se construire une jolie jolie vie. 


Julien Dufresne Lamy: 907 fois Camille, Plon, 335 pages, 2021





vendredi 3 septembre 2021

Rentrée Littéraire 2021 #7: Par instant, le sol penche bizarrement

 

Résumé: « Ah, vous traduisez des livres ? Vous faites comment ? Mot à mot ? »

Traducteur : mode d'emploi.

Dans ces carnets décalés et passionnants, le traducteur littéraire Nicolas Richard, capé et renommé, fait l’éloge de ce métier d’artisan, où chaque texte suscite son lot d’interrogations, d’émerveillements pour la langue – aussi bien anglaise que française – et la littérature.
Il propose ainsi un florilège d’énigmes rencontrées au fil de sa carrière, riche d’échanges privilégiés (souvent cocasses !) avec nombre d’auteurs, et invite le lecteur à se questionner, à douter, à enquêter et à s’amuser avec lui.
Are you ready ? Êtes-vous prêt ?


Les traducteurs, ces petites mains de l'ombre, sont, pour moi, des passeurs de mots qui permettent aux lecteurs et lectrices de se plonger dans toutes les littératures du monde et de découvrir un champ des possibles très vaste, et de faire un tour du monde de son fauteuil. Mais au fait, comment font ils pour retranscrire les mots d'un auteur d'une langue étrangère, à la nôtre (en l'occurrence, le français) sans trop le trahir? Comment devient on traducteur? Nicolas Richard, traducteur depuis 30 ans, donne quelques réponses dans ce livre passionnant. 


Tout d'abord, avant de vous donner un avis sur ce livre, je voudrais dire un grand merci à Nicolas Richard. Merci de m'avoir permis de lire l'un des plus beaux romans qui existent et qui m'a bouleversé: "Le temps où nous chantions" de Richard Powers. Ce livre a été un bouleversement dans ma vie. 

Maintenant, passons aux carnets de Nicolas Richard. Je sens que cela va être compliqué de parler de ce livre et surtout de donner envie aux amateurs de lecture, d'ouvrir ce livre. Je vous dis ça après une discussion que j'ai eu avec un ami concernant cette lecture; Quand je lui ai dit ce que je lisais, et de manière assez passionné, il m'a alors posé cette question: Qui ça va intéresser ce genre de livre ? Aïe aïe aïe. 

Alors pour répondre, moi, déjà ça m'intéresse grandement. En effet, je lis beaucoup de littérature étrangère, et anglo-saxonne en particulier:  l'une des premières choses que je regarde à propos d'un livre étranger, c'est le nom du (ou de la) traducteur/trice. Quand je lis un roman étranger, j'ai toujours une pensée pour cette personne de l'ombre qui a retranscris le texte que je lis. Quand j'entends dire par certains personnes qu'un auteur étranger à un style bien à lui, j'ai envie de rétorquer que c'est celui choisi par le traducteur, (même si celui ci essaie de rester le plus fidèle à l'auteur qu'il traduit). Exemple tout bête concernant mon autrice préférée, J.C. Oates. J'ai découvert son univers avec des livres traduits par Claude Seban. Je me suis donc habitué à son style. Eh bien quand je lis un roman de Oates, traduit par une autre traductrice, j'ai l'impression de ne pas retrouver la patte de Mrs Oates. Je ne sais pas si je suis clair dans cette explication

En fait, ce livre pourrait intéresser tous les passionnés de lectures, les passionnés de langues étrangères, et  tous les curieux en général, . 

Mais bon, trêve de bavardage inutile et venons en à ce fantastique livre de Nicolas Richard. Ce traducteur reconnu a commencé à traduire des textes, il y a 30 ans, et il a commencé par hasard, en voulant faire découvrir les poèmes d'un de ses auteurs préférés, Richard Brautigan: les poèmes du monsieur n'étaient alors pas traduit en français. Il décide donc de s'y coller. Et c'est comme ça que tout commence. 

Tout d'abord, ce livre est un véritable jeu.(Un jeu dont Nicolas explique les règles dans une petite introduction. Ah! petit conseil: il est préférable d'avoir une petite base en anglais pour pouvoir jouer à ce "livre jeu", l'auteur parsemant son texte de citations anglaises des romans traduits. Mais attention, pas de panique: un anglais de base niveau collège-lycée, suffit. Car les phrases anglaises que Nicolas Richard parsème dans le livre, sont toujours retranscrites dans leur traduction. Après, il est toujours plus drôle de se faire sa propre traduction d'une phrase et voir au final ce que le traducteur à choisi. Ensuite, vous pourrez comparer avec celle que vous aviez en tête).  Constitué de notices tenues par Nicolas toutes ces années et qui  sont regroupés par auteurs dont il a traduit certains livres, de ses débuts dans les années 90 jusqu'à aujourd'hui, le lecteur se ballade entre les notices et en apprend un peu plus sur les astuces que le traducteur essaie de trouver pour se sortir de petits pièges que peut recéler certains textes. Un traducteur doit être avant tout curieux sur tous les sujets, car il peut les rencontrer dans un livre: par exemple quand un roman parle de pêche et que le traducteur n'y connait rien,  il va alors, se documenter pour savoir de quoi l'auteur parle, pour trouver le bon mot ou la bonne formule en français. Parfois, il va demander l'aide d'une personne qui s'y connait dans ce sujet. Autre exemple, quand il doit traduire un livre qui parle d'un procès ou de politique américaine, il va alors se renseigner sur les arcanes du pouvoir américain pour retranscrire au plus juste le texte et le rendre passionnant pour le lecteur français. Ou alors, directement demander des explications à l'auteur lui-même pour essayer de savoir à quoi il a fait référence. 

Car oui, certaines références d'une culture ne se retrouve pas dans la nôtre. C'est alors au traducteur de chercher une équivalence dans notre pays afin que le lecteur s'y retrouve. 

Parfois, il y a aussi des choix à faire sur certains mots, surtout concernant certains jeux de mots, parfois intraduisible d'une lange à une autre. Il y a aussi le choix de la langue: exemple, dans la notice de James Crumley, auteur de polar noir, Nicolas Richard explique qu'il a utilisé "un argot saturé de crème indigeste, trop sucré, trop grasse", là où il n'y avait qu'un langage familier dans le texte original. Et l'auteur d'expliquer qu'il avait probablement été influencé par les traductions des romans de Chandler et autres auteurs de polars, traduit dans les années 50. (Eh oui, le traducteur fait un choix qu'un autre traducteur ne ferait peut être pas. Et l'exemple le plus frappant est la traduction des premiers tomes de "Game Of Thrones": l'action se passant dans un univers fantasy plutôt médiéval, le traducteur Jean Sola décida d'utiliser certains termes médiévaux pour sa traduction, la rendant parfois complexe à lire pour certains lecteurs, là où George Martin à un langage plus moderne. A partir du tome 5, changement de traducteur. Le nouveau traducteur décide de revenir au plus près du style original et met donc fin à  cette langue un peu médiéval que le premier traducteur avait mis en place). Mais je m'égare encore une fois. Revenons à Nicolas Richard. 

Pour apprécier ce livre foisonnant et riche d'informations, saupoudré d'humour et de situations parfois cocasse, il faut savoir piocher dedans. Oui, j'avoue, je n'ai pas lu ce livre d'une traite car je pense que c'est un  livre qui  se savoure par petites touches. Faites en un livre de chevet et aller piocher des infos au gré de vos envies de découverte. Ou plutôt, après avoir lu un livre de la longue liste des livres traduit par Nicolas (et elle est longue cette liste (en même temps, le monsieur en 30 ans a traduit 120 livres...pour le moment)), prenez le livre et aller lire la notice s'y référant pour apprendre comment Nicolas s'est "approprié" cet ouvrage sans le trahir. 

Ce livre est également une vraie mine d'or pour tous lecteurs de tout horizon et pour tous les genres. Nicolas a traduit du polar, des auteurs classiques comme la correspondance entre Kerouac et Ginsberg, Truman Capote;  des auteurs de polars comme Joe Lansdale, James Crumley. Mais aussi des cinéastes, comme Woody Allen, David Lynch ou Quentin Tarantino (c'est d'ailleurs Nicolas qui est derrière la traduction du livre sorti récemment "Il était une fois à Hollywood") ou des musiciens comme Keith Richards, Leonard Cohen, Bruce Springsteen. Et même Barack Obama! . Par contre Nicolas ne va pas faire du bien à votre porte monnaie, car il donne envie de découvrir les livres qu'il a traduit, le bougre! 

Alors, c'est vrai que je donne peu d'exemple, mais c'est que le livre fourmille d'énormément d'informations et que j'en ai probablement oublié en route. Mais je sais que j'y reviendrai un jour. Quand je vous dis que ce livre est un livre de chevet vers lequel on revient toujours...enfin, pour ceux qui s'intéresse à la traduction d'un texte et est curieux en général. 

Au final, un livre passionnant que j'ai pris plaisir à découvrir. Nicolas Richard a une plume drôle, captivante et un métier des plus intrigants qui l'emmène explorer des univers qu'il ne soupçonnait peut être pas. En tout cas, en refermant son livre, le lecteur en sait un peu plus sur ce métier de l'ombre qu'est celui de traducteur. Un métier passionnant qui a plusieurs facettes et plusieurs contraintes différentes. Comme une contrainte de temps. Une contrainte de temps salutaire car comme le dit si bien Nicolas: 

"Pour la santé mentale du traducteur, heureusement qu'il y a une date de remise du manuscrit- une deadline, comme on devrait ne pas dire. Sinon, je risquerais de passer une vie à essayer de trouver mieux...et je réussirais sans doute, à la fois à trouver mieux et à y passer une vie. La nécessité de devoir conclure, voilà ce qui  sauve le traducteur. (p.282)"

Merci aux Editions Robert Laffont pour cette idée géniale de donner la parole à un traducteur pour nous parler de son métier. Et bien sûr, merci de m'avoir permis de le découvrir. 


Nicolas Richard: Par instants, le sol penche bizarrement, Robert Laffont, 472 pages, 2021