mercredi 8 septembre 2021

Rentrée Littéraire #10: Souvenirs du rivage des morts

Résumé: M. Mizuno coule une retraite heureuse après une vie sans histoire. Du moins c’est l’image qu’il s’applique à donner. Car son vrai nom est Yasukazu Sanso, ancien activiste de l’Armée rouge japonaise ayant déjà tué, et de sang-froid. La rencontre fortuite, à Bangkok, avec un vieux camarade va déclencher la mécanique implacable du souvenir. Comment, en quête d’idéal, s’est-il laissé embrigader dans les mouvements universitaires des années 1960 ? Comment, suite aux dérives d’une faction se livrant à des purges insensées, a-t-il rejoint les camps d’entraînement palestiniens au Liban, dans l’espoir de prouver qu’il est un vrai communiste ?


Dans son nouveau roman, Michaël Prazan va nous plonger dans l'Histoire du terrorisme international des années 70, à travers un vieil homme qui va se souvenir de ses années de jeunesse, quand il faisait parti de l'Armée Rouge Révolutionnaire japonaise. 

Comment vous dire, ce livre fut un véritable parcours du combattant, qui m'a complètement soufflé, tout autant que horrifié devant les actes commis par les membres de cette organisation. D'un style incisif et percutant, fait de petites phrases qui vous frappent en plein visage (l'utilisation de certaines onomatopées représentant le bruits des balles, des bombes, de la pluie, des coups, etc... vous immergent encore plus et vous fait ressentir tout ce que vivent les protagonistes), avec une acuité viscérale qui ne vous lâche pas. 

Heureusement, Michaël Prazan a décidé de construire son histoire sur deux temporalités: celle du présent où on suit M. Mizuno, un grand-père, en vacances avec sa belle-fille et ses petits enfants à Bangkok, et qui rencontre dans l'hôtel où ils se sont installés, un Allemand, une vieille connaissance du temps où M. Mizuno était un terroriste et qu'il s'appelait Yasukasu. Cette rencontre va alors faire resurgir des souvenirs de ce temps là. C'est ainsi qu'arrive la temporalité du passé, qui va revenir sur les années de terrorisme de Yasukazu, de son entrée dans l'Armée Rouge révolutionnaire, lorsqu'il était étudiant, à ses années de terrorisme à travers le monde. 

Alors, pourquoi cette double temporalité est bienvenue? Tout simplement, les chapitres concernant le passé vont être les passages les plus difficiles à lire: l'auteur nous immerge complètement dans cette époque et ne nous épargne rien. Les passages sont d'une telle violence et parfois les actes d'une telle absurdité morbide (je repense à ce qui se passe à Nagano et au passage de l'auto-critique des membres de l'Armée Rouge qui n'a aucun sens et qui tourne au massacre), que le lecteur, passif, tout comme Yasu, se voit démuni et désemparé. L'auteur joue avec nos nerfs, en nous laissant toutefois, respirer et reprendre notre souffle et nos esprits avec les chapitres du présent, qui sont comme des respirations, avant de replonger dans l'enfer. En fait, les cauchemars qui assaillent M. Mizuno, alias Yasukazu, l'auteur nous les fait revivre avec toute la portée psychologique qu'ils comportent. Mais, comme il l'écrit si bien: 

"Certains souvenirs sont comme des bombes à fragmentation. On n'en vient jamais à bout. (p. 157)

Ce livre raconte tout simplement, le chemin vers une certaine rédemption que le personnage principal à recherché toute sa vie. Tout au long du roman, j'ai eu l'impression que Yasu s'est retrouvé embarqué dans cette histoire par hasard et qu'il est devenu terroriste par erreur. Un jeune homme rêvant d'idéalisme qui s'est fait embrigader, et qui fait tout pour retrouver sa liberté. 

C'est passionnant, super addictif par moment, certes il faut avoir le coeur bien accroché, mais je pense que vous serez, comme moi, pris dans l'engrenage de l'écriture hypnotique de Michaël Prazan. La force aussi, c'est que, dès le départ, on sait que Yasu se sort de toutes les situations périlleuses dans lesquelles il va se trouver, mais Michael Prazan sait maintenir un suspense insoutenable qui nous laisse pantois et nous fait tourner les pages afin de savoir comment Yasu va se sortir de cette situation inextricable, et ce jusqu'à l'avant-avant dernier chapitre. 

Il faut maintenant que je vous parle de la fin (sans rien dévoiler, c'est promis): le roman étant construit sur deux temporalités, il fallait bien que ces deux histoires aient sa propre conclusion, celle du passé et celle du présent. Habituellement, la conclusion du passé arrive avant celle du présent. Ici, Michael Prazan a décidé du contraire. Je me suis d'ailleurs fait la réflexion: "tiens, le roman aurait pu se terminer là...oui, mais comme le chapitre précédent, sur le passé, nous laissait sur un suspense insoutenable concernant Yasu, je veux savoir comment il s'en est sorti". Et là, vient le dernier chapitre: celui-ci va nous laisser sur un dernier choc qui nous percute de plein fouet et va nous rester en tête pendant longtemps. En faisant ce choix, Michael Prazan garde la puissance du roman intacte qui laissera une trace dans notre esprit, là, où la fin du présent, si elle était arrivé avec le point final, aurait fait retomber le soufflé. Un choix judicieux. 

Au final, un roman percutant sur le terrorisme international des années 70,qui joue avec nos nerfs, et nous embarque dans un monde que je n'étais pas prêt à découvrir, mais qui m'a scotché avec son style incisif et hypnotique. Ce Souvenirs du rivage des morts marquera probablement cette rentrée littéraire 2021, de par son sujet, mais aussi par la puissance qu'il dégage. En tout cas, je l'espère fortement. Ce roman, et Michaël Prazan, le méritent. 


Merci aux Editions Rivages pour ce voyage dont je ne reviendrai pas totalement indemne. 


Michaël Prazan: Souvenirs du rivage des morts, Rivages, 364 pages, 2021




 


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