dimanche 18 mai 2014

Petit oiseau du ciel

4e de couverture: Krista a confiance en son papa. Elle sait qu’il n’a pas pu tuer Zoe Kruller. Pourtant, à Sparta, les rumeurs s’amplifient, la police s’en mêle, on parle de crime adultère. Krista aimerait comprendre pourquoi sa famille est ravagée par cette histoire sordide. Adolescente sacrifiée sur l’autel des erreurs paternelles, elle conçoit peu à peu un amour étrange et obsessionnel pour Aaron, le fils de Zoe…


Est ce son métier d'enseignante qui pousse Joyce Carol Oates à mettre en scène des adolescents? Maybe. 
En tout cas, ce sont encore une fois deux adolescents, qui sont les principaux protagonistes de Petit oiseau du ciel
Par le prisme de ces deux adolescents, Krista et Aaron, l'auteur nous montre les répercussions, souvent désastreuses, que peuvent avoir un meurtre sur l'entourage de la victime. 
En effet, Zoe Kruller, une femme au destin sulfureux, qui a quitté mari et enfant, est retrouvée étranglée dans un appartement qu'elle partageait avec une amie, Jacky DeLucca. Deux hommes vont être suspectés dans l'affaire: son mari Delray (le père d'Aaron, également le fils de la victime), et l'un de ses amants, Eddy Diehl (le père de Krista). 
Les suspicions et les les rumeurs vont faire voler en éclats les deux familles. 

Alors, je vous le dis tout de suite: ce n'est pas un roman policier ou un thriller. Si vous vous attendez à lire un roman qui vous donnera la solution du meurtre et le meurtrier de Zoe Kruller, vous risquez d'être déçu. 
Le meurtre de Zoe  est seulement "un prétexte" (c'est horrible de dire ça, je m'en rend compte en l'écrivant) pour l'auteur de nous montrer les circonstances que cette mort peut avoir sur deux familles. Comme souvent chez Oates, le côté psychologique est présent du début à la fin et est le côté principal du roman. 

Pourtant, tout le roman va tourner autour de Zoé et de son meurtre et n'en bougera pas. Composé de trois parties, le roman va décliner ce meurtre et cette histoire sous différents angles: 
Dans une première partie, c'est Krista qui prend la parole pour nous parler de sa famille et des conséquences du meurtre de Zoé sur ses proches. Tout porte à croire qu'Eddy Diehl est le coupable de ce meurtre...cependant, le lecteur ne peut concevoir cela et est du côté d'Eddy...tout simplement parce que Krista croit en l'innocence de son père (comme cette partie est raconté de son point de vue, le lecteur ne peut qu'être de son côté), ce qui n'est pas le cas de sa mère Lucille (qui a demandé le divorce) et de son frère Ben, qui ne voudra plus entendre parler de son père. 
Par petite touche, l'auteur nous emmène vers le climax dramatique de cette fin de partie: le moment où Krista est séquéstrée par son père dans une chambre d'hôtel. Cette fameuse nuit, qui sera un point de non-retour pour Eddy, et qui sera primordiale pour l'avenir de Krista. 
En arrivant à la fin de cette première partie, (qui arrive a un peu plus de la moitié du roman) je me suis demandé ce que l'auteur allait bien pouvoir nous raconter: le dénouement final dramatique de cette première partie nous faisait tourner une page sur l'histoire des Dielh et le meurtre de Zoe. 
Quelle ne fut donc pas ma surprise , en lisant la première page de cette 2e partie, que Joyce Carol Oates opérait un retour en arrière et nous faisait revivre les semaines avant le meurtre de Zoé le moment du meurtre, et les semaines et années après...vu sous les yeux d'Aaron Kruller, le fils de la victime. Ce fils qui découvrira en premier le corps de sa mère. 
On pourrait croire, alors que le roman devient redondant, à raconter les mêmes événements: que nenni. Le roman continue sur sa lancée (malgré que Zoé, tel un fantôme hante toujours les pages), en nous montrant les répercussions du meurtre, dans la propre famille de la victime. Krista et Aaron n'ayant pas vécu les même choses, le lecteur a alors un nouveau regard et un nouveau ressenti sur "l'affaire Zoé Kruller". 

Dans ces deux parties, il y a bien évidemment des rencontres entre Krista et Aaron, qui vont avoir une sorte de fascination/répulsion l'un pour l'autre. 

Dans une dernière partie (plus courte), l'histoire se déroule 20 ans après le meurtre de Zoé. Elle sert de conclusion et d'aboutissement à l'histoire. L'auteur nous donne également le "meurtrier" de Zoé. Le lecteur est ainsi contenté, même si le doute persiste toujours, car le meurtrier qui nous est livré, n'est simplement que la version d'un des protagonistes de l'histoire. Le meurtrier n'est donc qu'un autre suspect. Ce qui démontre que l'essentiel n'était pas là. 

On retrouve bien évidemment des thèmes propres aux romans de Oates (la violence, la drogue, les affres de la vie adolescente, l'admiration paternelle, jusqu'à l'aveuglement parfois, la disparition de la mère (déjà décliné dans des romans tels que "Zarbie les yeux verts" (d'ailleurs  la dualité est un autre point commun avec "Zarbie", puisque là ou Francesca avait inventé "Zarbie" pour s'exprimer, Aaron s'est inventé "Krull" pour pouvoir faire face) ou "Sexy"). 
On retrouve également ce style inimitable, avec des moments crus, qui peuvent déranger certains lecteurs je le conçois. Mais pour ma part, cela fonctionne toujours. Je suis à chaque fois fasciné par l'écriture de Joyce Carol Oates et chaque livre m'emmène toujours un peu plus loin dans son univers dérangeant, malsain, souvent, mais toujours captivant. 
Elle a cette capacité à nous décrire avec justesse, force et sans tabou, l'humanité sous toutes ses formes, de la plus éclatante à la plus sombre. Si vous voulez connaître les tréfonds de l'âme humaine, plongez vous dans n'importe quel roman de Oates, et vous en aurez un aperçu. Bien sûr, celui ci ne sera pas joli. (Car oui, les romans de Joyce Carol Oates, ne se déroule jamais au pays des Bisounours. Il ne faut pas rêver. Chez Oates, Noir, c'est noir, et le lecteur est souvent dans un univers très sombre ou, cependant, une petite lueur d'espoir est tapie dans l'ombre, quelquefois. Il suffit de la voir. Et cette petite lueur existe dans Petit oiseau du ciel

Avant de conclure ce billet, je voulais tirer un coup de chapeau à Claude Seban (qui depuis quelques années est devenue la traductrice française des romans de Joyce Carol Oates). Elle réussi le tour de force de traduire avec justesse, le style compliqué et hasardeux de Oates. Et je trouve qu'elle le fait de façon magistrale, car cela ne doit pas être une mince affaire de retrouver le sens et la plume de Oates. Bravo à vous, chère Claude Seban. C'est grâce à vous, aujourd'hui, que l'âme et les pensées de Joyce Carol Oates se livrent aux lecteurs français. 

Au final, un roman captivant, qui vous happe pour ne plus vous lâcher. Certes il peut déconcerter les novices de Joyce Carol Oates, qui n'ont pas l'habitude de son écriture et de ses thèmes, mais qui raviront les amoureux de cette auteure. Un roman psychologique qui fait encore une fois la part belle aux adolescents. Personnages récurrents de beaucoup de romans de Mrs Oates. Mais c'est une matière inépuisable pour cette professeur de lettres, qui les connait si bien. 

Merci à Marie-Delphine et aux Editions Points pour cette découverte. 

Joyce Carol Oates: Petit oiseau du ciel (Little Bird of Heaven), Points, 544 pages, 2012







4e roman lu dans le cadre du challenge "Oates" organisé par George . 













2 commentaires:

  1. Je l'avais choisi parce qu'il réunit tout ce qu'il faut pour me plaire, et ton billet me le confirme. Je ne pense pas le lire tout de suite par contre.

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    1. Si j'ai réussi a te convaincre, c'est parfait, et je suis heureux de te l'avoir fait gagner. Je t'en souhaite une aussi belle lecture que moi...quand tu le liras. Mais prend ton temps. Il faut toujours choisir le bon moment pour se plonger dans un livre de Joyce Carol Oates, mais à chaque fois, c'est un voyage fascinant.

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