lundi 22 avril 2019

J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi

4e de couverture: Printemps 1994. Le pays des mille collines s’embrase. Il faut s’occuper des Tutsi avant qu’ils ne s’occupent de nous.
Rose, jeune Tutsi muette, écrit tous les jours à Daniel, son mari médecin, souvent absent. Elle lui raconte ses journées avec leur fils Joseph, lui adresse des lettres d’amour… Jusqu’au jour où écrire devient une nécessité pour se retrouver. Obligée de fuir leur maison, Rose continue de noircir les pages de son cahier dans l’espoir que Daniel puisse suivre sa trace.
Sacha est une journaliste française envoyée en Afrique du Sud pour couvrir les premières élections démocratiques post-apartheid. Par instinct, elle suit les nombreux convois de machettes qui se rendent au Rwanda. Plongée dans l’horreur et l’indicible, pour la première fois de sa vie de reporter de guerre, Sacha va poser son carnet et cesser d’écrire…


Comment peut on réussir un roman aussi puissant, sur un sujet aussi brûlant que le génocide rwandais, dès son premier livre? Comment Yoan Smadja réussit brillamment à mettre des mots sur l'innommable

Je n'ai pas la réponse à ces questions. C'est peut être tout simplement la grâce. 
Vous savez comme j'aime découvrir des premiers romans. Rien ne me plait plus que de découvrir de nouveaux univers, et de nouvelles plumes. 
Si mon choix s'est porté sur ce roman, ce n'est pourtant pas la seule raison: le sujet m'intriguait grandement.
 A travers le regard et le parcours de deux femmes, Yoan Smadja, va nous raconter ce terrible mois d'avril 1994 que vécut le Rwanda: Sacha, reporter de guerre, envoyée tout d'abord en Afrique du Sud pour couvrir les premières élections post Apartheid, va être victime d'un accident de la route avec un camion, transportant des machettes. Elle va avoir l'intuition que quelque chose se trame au Rwanda. Elle décide alors de partir, en compagnie de Benjamin, le photographe qui l'accompagne, à Kigali, capitale du Rwanda. Puis, nous suivons  Rose, jeune femme muette, d'origine tutsi, qui écrit des lettres d'amour à son mari Daniel, et ainsi nous raconte son quotidien à l'ambassade de France, à Kigali, où son père est devenu le chef cuisinier.

Ces deux récits vont s'entrecroiser: celui de Sacha, qui va nous plonger dans l'action et faire monter notre adrénaline, se demandant comment cela va tourner. On est alors pris dans un récit à la troisième personne, qui nous décrit simplement, mais avec pudeur, le chaos qui s'est emparé de la capitale après l'attentat contre le président Rwandais: Habyarimana. Cet attentat qui va être le déclencheur du massacre des Tutsis par les Hutus. 
Puis, les lettres de Rose, qui nous décrit sa vie avant le massacre, nous racontant la vie de son père, devenu chef cuisinier à l'ambassade, mais qui sera tué, parce que Tutsi, quelques mois avant le génocide. Les lettres de Rose,sont emplis d'une telle poésie, qu'elles sont une sorte de respiration dans le récit plus factuelle de Sacha...jusqu'à ce fameux 19 avril 1994, où Rose va vivre l'enfer. 

Comment mettre des mots sur ce que j'ai ressenti durant ma lecture? Je pourrais dire que j'ai été estomaqué, bouleversé jusqu'aux larmes, désarmé devant l'incompréhension de cette guerre civile que je n'ai jamais compris...tout comme Sacha d'ailleurs, qui écrit ceci à un moment: 

"C'est avant avril 1994 que nous aurions dû poser les yeux sur le Rwanda.
Un pays ne se déchaîne pas ainsi en vingt-quatre heures. Des milliers de personne ne se convertissent pas en une meute de tueurs du jour au lendemain.[...] Surtout, où était la guerre dans les villages que nous avons traversés? Il n'y avait que des gens ordinaires, abattus en cohortes. Où étaient les lignes ennemies, les armes, l'équipement des Tutsi de l'intérieur, des campagnes? Il n'y avait rien d'autre que des paysans sur leurs parcelles. (p.244-245-246)
[...]
Les miliciens qui quadrillent le pays affichent une morgue aberrante, ils jouissent d'une froide impunité. Les rues sont jonchées de cadavres et l'on peine à décrire des choses pareilles.Les écoles, les centres de santés, les bâtiments publics, les églises sont atteints. A quel point faut il avoir oublié que ces Tutsi sont des hommes? (p.247-248)

Mais comment vous décrire ce que j'ai ressenti au plus profond de moi, avec des mots. Ce sont des sensations tellement intimes, tellement fortes, qui vous prennent aux tripes...tellement que parfois, j'ai ressenti le besoin de poser le livre quelques instants pour retrouver un peu de paix, à l'intérieur de moi...une respiration avant de retourner dans l'innommable chaos dans lequel Yoan Smadja nous (re)plonge. 
Bien sûr, on se sent proche intimement, de Sacha, Benjamin, Daniel , Rose et le petit Joseph. On tremble pour eux...on espère qu'ils vont se sortir de cet enfer. Seulement, on se sent impuissant, car juste spectateur de ce malheur qui s'abat sur eux. 

Alors, je préfère vous le dire,ce roman n'est pas fait pour tout le monde. Âmes très très sensibles, s'abstenir. Moi-même qui  suis d'une sensibilité exacerbée, j'ai  eu bien du mal à lire certains passages. Heureusement que la plume poétique et sensible de Yoan arrive à temporiser tout cela, et nous aide à avancer. 

Que vous dire d'autres? Que ce roman est un formidable témoignage de ce qui s'est passé ce fameux printemps 1994, au Rwanda. Que Yoan Smadja a réussit à retranscrire l'horreur avec pudeur,sans rien édulcorer, en donnant vie à ces Tutsi qui ont tenté de fuir l'horreur qui s'est abattu dans leur pays, abandonné de tous (la scène à l'ambassade,où Rose demande à un soldat, si elle va être évacué avec sa mère et son fils, comme les ressortissants français, pour qui sa famille travaille depuis 40 ans, cette scène, où le soldat, impuissant, lui dit non, est un véritable déchirement), en redonnant la parole à ces journalistes qui ont vu l'innommable et qui devant leur impuissance ont tenter de raconter ce qu'ils ont vécus...mais qui en sont revenus changé à jamais...comme Sacha. 

Au final, un roman essentiel qui rappelle à notre mémoire le génocide rwandais que, nous français avons vécu de loin, sans trop comprendre ce qui s'y passait. Un roman que j'ai fini, en larmes et qui m'a bouleversé au point d'avoir un poids dans la poitrine. Un roman qui ne se raconte pas, mais qui se vit, et se ressent. Un roman vibrant d'authenticité et d'une belle humanité. Alors peut être n'aurais je pas dû écrire ma chronique à chaud, après avoir refermé le livre, laissé reposer, et ne pas me laisser emporter par mes émotions. Seulement, j'avais besoin de parler de ce livre fondamentalement essentiel. Comme une urgence, un besoin viscéral de le partager. Comme un besoin de dire à tous: lisez le! 

Merci aux Editions Belfond pour ce livre essentiel et important. 

(et c'est tellement plus que ça)

Yoan Smadja: J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi, Belfond, 284 pages, 2019



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