dimanche 30 septembre 2018

Le paradoxe d'Anderson

4e de couverture: 
Plus rien n’est acquis. Plus rien ne protège. Pas même les diplômes.
À 17 ans, Léa ne s’en doute pas encore. À 42 ans, ses parents vont le découvrir. La famille habite dans le nord de l’Oise, où la crise malmène le monde ouvrier. Aline, la mère, travaille dans une fabrique de textile, Christophe, le père, dans une manufacture de bouteilles. Cette année-là, en septembre, coup de tonnerre, les deux usines qui les emploient délocalisent. Ironie du sort, leur fille se prépare à passer le bac, section « économique et social ». Pour protéger Léa et son petit frère, Aline et Christophe vont redoubler d’imagination et faire semblant de vivre comme avant, tout en révisant avec Léa ce qui a fait la grandeur du monde ouvrier et ce qui aujourd’hui le détruit. Comme le paradoxe d’Anderson, par exemple. « C’est quoi, le paradoxe d’Anderson ? » demande Aline. Léa hésite. « Quelque chose qui ne va pas te plaire », prévient-elle. Léon, dit Staline, le grand-père communiste, les avait pourtant alertés : « Les usines ne poussent qu’une fois et n’engraissent que ceux qui les possèdent.»
Rentrée Littéraire 2018 (#6)
Paradoxe d'Anderson: Paradoxe empirique selon lequel l'acquisition par un étudiant d'un diplôme supérieur à celui de son père, ne lui assure pas, nécessairement, une position sociale plus élevée. 
En partant de cette situation Pascal Manoukian, offre un bel hommage au monde ouvrier, dans un roman drôle et bouleversant qui ne laisse pas indifférent. 
Avec Pascal Manoukian, je sais que je vais retrouver notre quotidien, et bizarrement,cela ne me fait pas peur depuis ma découverte de son précédent roman "Ce que tient ta main droite t'appartient". Ici,il décrit le parcours chaotique d'un couple, Aline et Christophe, travaillant tous deux en usine (elle chez Wooly, fabrique de chaussettes, et lui, chez Univerre, une usine fabriquant des bouteilles) et qui voit leur monde s'écrouler quand un plan social s'abat sur leur deux usines. Malgré les difficultés de leur vie, ils vont tout faire pour que rien ne change, pour ne pas inquiéter leurs enfants, faisant fonctionner leur imagination pour ça. 

Le lecteur oscille ainsi tout le temps, entre le rire et la tristesse devant les situations que l'auteur égrène au fil de cette année de terminale (pour Léa, la fille du couple). C'est un livre toujours juste, rempli de vérités qu font mal. On se retrouve dans le quotidien de plus en plus difficile d'Aline et Christophe, mais l'espoir n'est jamais loin et les découragements du couple, sont contrebalancé par des moments magiques d'espoir et de sourire, ce qui fait que le roman ne tombe jamais dans le pathos. 
L'auteur décrit avec justesse le monde ouvrier d'aujourd'hui, qui se meurt à petit feu au profit du capital. C'est un livre sur les espoirs déçus de la génération Y, qui voit progressivement son monde s'écrouler et ses rêves partir en fumée. C'est violent parfois (la scène du stage de formation d'Aline pour un emploi de vendeur en porte à porte est des plus glaçant), mais les moments de tendresse et de drôlerie sont justement là pour nous laisser souffler. 
Les personnages sont très bien croqués et sonnent tellement vrai: Aline et Christophe pourraient être nos voisins de pallier. On se sent proches d'eux et on a tellement envie qu'ils s'en sortent. Le blanc bec de chez Univerre qui vient de Paris pour négocier la reprise du travail, est vraiment l’archétype du capitaliste en costard cravate qui ne voit devant lui que des chiffres et pas des être humains, parlant une langue de bois qui nous ferait vomir, qu'on ne peut que le détester. 
Tout cette histoire est menée de main de maître et les surprises et les rebondissements sont nombreux, ce qui m'a tenu en haleine jusqu'au final, qui oscille entre sourire et larme, espoir et drame, entremêlant les deux jusqu'à la dernière scène que l'on se prend comme un électrochoc et qui vous laisse complètement sonné. Pascal Manoukian a l'art de nous donner des fins de roman étonnantes qui restent souvent gravé longtemps dans notre mémoire, bien après la fermeture du livre. 

Au final, un roman drôle et bouleversant sur le monde ouvrier, qui nous fait ouvrir les yeux sur cette génération Y qui voit ses rêves s'envoler. Un roman réussi qui parle avec justesse d'un monde qui est en train de disparaître. Si j'osais, je dirai que l'ouvrier est un peu le dernier Jedi de cette industrie qui se meurt et qui ne laisse que des carcasses vides sur des terrains en friche...mais l'espoir est toujours au bout du chemin et, dans le livre, c'est la jeune Léa qui l'incarne.
"Le paradoxe d'Anderson": l'un des romans les plus marquant de cette rentrée littéraire. 

Merci aux Editions du Seuil  pour ce roman drôle et touchant.

Pascal Manoukian: Le paradoxe d'Anderson, Seuil, 295 pages, 2018



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