dimanche 4 septembre 2022

Rentrée Littéraire 2022#3: Les bienheureux

Depuis trois ans, c'est un rendez-vous que je ne raterai pour rien au monde: la découverte du nouveau livre de Julien Dufresne-Lamy. 

A chaque fois, c'est un plaisir renouvelé de retrouver l'écriture de Julien, et de se demander vers quel univers il va nous embarquer. 

Cette année, il revient vers un thème cher à son coeur, celui de la différence. Il avait déjà traité ce sujet dans deux précédents livres: Jolis jolis monstres et Mon père, ma mère, mes tremblements de terre. D'ailleurs, pour moi, ces Bienheureux pourrait être le troisième volet de son diptyque sur la différence. 

Dans ces Bienheureux, Julien va nous faire découvrir le syndrome de Williams -Beuren: cette maladie génétique chromosomique liée à la perte d'un chromosome. Bien évidemment, il va le faire en nous présentant des enfants atteint de ce syndrome. C'est ainsi que se présente à nous, Marius, jeune garçon qui connait plein de recettes de cuisine, mais qui ne sait pas cuisiner, Enzo qui a appris seul à parler anglais, Thomas, qui peut reproduire 25 cris d'animaux, sans oublier Axelle, Marie, Arthur, Romain..., Nous allons suivre ces gamins de l'enfance (l'opération à coeur ouvert de Marius, lorsqu'il a deux ans) à l'adolescence (les premiers émois amoureux d'Arthur à 16 ans). C'est ainsi que Julien nous décrit les premières étapes que chaque enfant traverse (la découverte du monde, des premières rentrée à l'école, des premiers émois amoureux) sous un prisme nouveau. Mais aussi, du combat des parents pour faire accepter leur enfant par la société, mais aussi pour faire avancer la recherche. 

Avec ce livre, j'ai retrouvé le Julien que je connais et que j'aime: celui qui regarde le monde avec toutes ses particularités, avec bienveillance et tendresse. Tout comme "Jolis jolis monstres", et "Mon père, ma mère, mes tremblements de terre", il met sa plume au service des personnes hors norme qui ont énormément d'amour à donner. C'est encore plus flagrant avec ces "Bienheureux". Je défie quiconque de ne pas pleurer et  être touché au coeur par ces enfants qui se dévoilent au fil des pages. Avec sa plume délicate et bienveillante, Julien nous fait aimer Marius, Axelle, Arthur, Thomas, Romain, et tous les autres...sans oublier de nous informer sur cette maladie que je ne connaissais pas, de prime abord (c'est son côté journaliste qui ressort et que j'aime beaucoup à chaque livre). 

Julien a réussi cette année a faire de ces enfants réels de beaux personnages de fiction auquel on s'attache. Surtout il offre le beau portrait d'une héroïne du quotidien en la personne d'Anne-Laure, la maman de Marius, qui ouvre et referme le livre. Encore un beau personnage de femme encore une fois. 

Les Bienheureux est un livre que l'on referme à regret, ne voulant pas quitter ces enfants que l'on a appris à connaitre et aimer. D'ailleurs, Julien écrit son regret de n'avoir pas pu écrire les histoires de tous les enfants qu'il a rencontré...mais la vie est faite de choix. Alors, on referme le livre un peu triste mais heureux d'avoir pu connaître ces  enfants qui ont fait partie de nos vies, le temps d'une lecture. Une lecture qui nous restera au coeur bien après avoir tourné la dernière page. 

Les bienheureux est un livre qui fait du bien à l'âme. 



Julien Dufresne Lamy: Les bienheureux, Plon, 236 pages, 2022






 

vendredi 2 septembre 2022

Rentrée Littéraire 2022 #2: Variations de Paul

 

Dans son nouveau roman, Pierre Ducrozet rend un hommage vibrant à la musique, grâce à une famille de mélomanes pas comme les autres. 

Il y a d'abord Antoine, le père, qui tout jeune apprend le piano et se retrouve plongé dans la musique, entre Debussy et Thelonious Monk. Mais c'est surtout à Paul, son fils, que l'auteur va s'intéresser. Bébé miraculé, qui a survécu à l'accouchement, celui ci va être bercé dès le plus jeune âge par la musique. Mais surtout, il a un "pouvoir magique": il voit les sons, la couleur des sons. C'est ainsi qu'il va se bercer et s'emplir de musique jusqu'à plus soif, quitte parfois à s'y noyer. 

Ce roman est fascinant, de par son sujet d'abord: la musique. Ce livre est un véritable hommage à la musique et à toutes les musiques, qu'elle soit classique, jazz, rock, pop, hard rock. Celle ci virevolte autour de Paul et des pages de ce roman, à en donner le tournis...mais pour un passionné de musique comme moi, ce n'est que du bonheur et c'esr ce qui m'a plu dans ce livre. 

Autre particularité du livre: sa construction déstructurée: en effet, le livre n'arrête pas de faire des aller-retour incessant dans la vie de Paul, mélangeant passé présent, jusqu'à même parfois faire des incursions dans la vie des artistes que Paul écoute: c'est ainsi ,par exemple, que la découverte de la musique d'Elvis Presley par Paul, lorsqu'il est étudiant va amener l'auteur à nous parler de la rencontre de Presley avec un producteur, et ce, dans le même paragraphe: déconcertant, mais passionnant. 

Ce livre est un voyage musical à travers le XXe siècle, qui nous emmène de La Croix Rousse, à Paris, en passant par Londres, New York ou Berlin, nous faisant découvrir le monde de la musique classique, à celui du rock, de la pop, du jazz ou de la techno (grâce au personnage de Chiara, la fille de Paul, qui est Dj)...enfin, tout un monde merveilleux pour tous les amoureux des musiques. 

J'ai aimé l'errance de Paul et la recherche de sa musique, celle qu'il entend et surtout qu'il voit. Celle qu'il essaie de reproduire dans cette symphonie toujours inachevée. En cherchant sa musique, Paul cherche un sens à sa vie et peut être que la mort d'un être cher va lui montrer le chemin. C'est fou, mais j'ai compris ce cheminement (est ce parce que moi aussi, tout comme Paul, je vis le même drame. Peut être que cela fait écho). En tout cas, j'ai aimé ce livre et la fin, très touchante. 

Variations de Paul m'a agréablement surpris. L'histoire de Paul et son parcours m'ont beaucoup touché et ces variations sont un bel hommage à toutes les musiques, que celles ci soient fait de bruit ou de silence. Car même le silence peut être assourdissant parfois. Un roman à découvrir pour tous les passionnés de musique. 


Pierre Ducrozet: Variations de Paul, Actes Sud, 457 pages, 2022





dimanche 28 août 2022

Rentrée Littéraire 2022 #1: Fantaisies guérillères

 

Et c'est parti pour une nouvelle rentrée littéraire! Est ce que celle ci sera aussi riche et plaisante que celle de l'année dernière? Je ne le sais pas encore, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'elle commence fort avec le premier roman de Guillaume Lebrun. 


Voilà un roman atypique, qui sort des sentiers battus et qui risque d'en laisser certains sur le bord de la route. D'ailleurs, je tire un grand coup de chapeau à l'éditeur, Christian Bourgois pour cette prise de risque, qui ,je l'espère, va s'avérer  payante. 

Mais Fantaisies Guerrillères, ça raconte quoi? 

Nous sommes au début du XVe siècle. Le Royaume de France se trouve en plein chaos: les Englishes s'imposent dans le pays de puis près de cent ans, et la France est  au bord d'une guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. C'est alors qu'entre en scène, Yolande d'Aragon. Cette dernière, mariée à Louis II d'Anjou, alias Loulou, pour les intimes, décide, après avoir eu la vision d'une prophétesse faisant couronner le dernier Dauphin vivant, de monter une école et d'aller chercher plusieurs jeunes filles du royaume afin de les préparer au combat. C'est ainsi qu'elle se retrouve à la tête de 15 filles, qu'elle va toute surnommer Jehanne, et qu'elle va entrainer aux exigences militaires et intellectuelles afin de sortir le pays de ce marasme. Parmi ces 15 filles, la Douzième va sortir du lot. 

Comme vous pouvez le constater, nous sommes en plein roman historique...sauf que celui ci n'a rien de classique, que ce soit dans son style et dans l'histoire. Guillaume Lebrun s'amuse de la Grande Histoire, qu'il explique fort bien d'ailleurs, dans toutes les ramifications de cette grande famille: c'est ainsi que nous croisons au fil des pages, Isabelle de Bavière, reine de France, marié à Charles VI. Yolande d'Aragon, l'une des narratrices de ce roman, mariée à Louis II d'Anjou, au fils d'Isabelle et Charles, le futur Charles VII... L'Histoire de France est quasiment respectée, oui, mais voilà: guillaume Lebrun à eu la géniale idée d'y mêler une part de fantastique: en effet, Yolande d'Aragon va avoir des visions qui vont lui montrer la voie à prendre pour sortir le pays du joug anglais. D'ailleurs, la fin du roman part dans un univers fantasy à la Tolkien...et c'est génial. Déconcertant, ma foi, mais totalement génial, si on adhère. 

Une autre originalité du roman, c'est la réécriture de l'histoire de Jehanne d'Arc, car oui, ne nous y trompons pas: cette armée de Jehanne que Yolande met en place, c'est pour "créer" Jehanne d'Arc. Là aussi, l'idée est folle mais totalement géniale. 

Dernière originalité qui va peut être en laisser plus d'un sur le bord de la route: le style de l'auteur. Comme je vous le disais, Yolande d'Aragon nous conte cette histoire (elle s'adresse d'ailleurs à nous lecteurs) , mais elle ne sera pas la seule. Cette dernière nous parle, ou plutôt nous écrit dans sa langue à elle, c'est à dire celle du XVe siècle. Enfin, pas vraiment. En fait, Guillaume Lebrun utilise des termes de vieux français, qu'il arrange à sa sauce, mélangé à de l'anglais et à des termes quelquefois incongrus venant de notre temps. En fait, ce style est complètement inclassable...mais si on arrive à entrer dedans, l'histoire devient prenante et géniale. Alors, petit conseil avant de vous emparer de ce livre (conseil qui m'a été donné par ma libraire): avant de faire l'acquisition de ce livre, prenez le temps de lire au moins les 5 premières pages, afin de savoir si le style vous convient. 

Pour ma part, il m'a plu mais j'avoue qu'il m'a fallu plus de 50 pages pour m'y faire et entrer vraiment dans l'histoire. Après cette étape franchie, ce n'est que du bonheur! Surtout que le livre est également rempli d'humour (il y avait longtemps que je n'avais pas ri aux éclats à la lecture d'un livre) et émaillé de quelques références populaires, qu'elles soient musicales ou cinématographiques, certes anachroniques, mais n'oublions pas que nous ne sommes pas dans un roman historique pur. 

Au final, j'ai adoré cette revisite de l'histoire. Fantaisies guerrillères est un roman inclassable, entre roman historique et fantastique (en même temps, le titre du livre vous prévient d'emblé), bourré d'humour et passionnant de bout en bout. Un premier pas réussi dans cette rentrée littéraire, qui, je le pense, sera un peu plus calme et classique, par la suite (enfin nous verrons bien. Mais je vous recommande vivement de tenter l'aventure en compagnie, de Yolande d'Aragon et de ses Jehanne. L'aventure vaut le détour! 


Guillaume Lebrun: Fantaisies guérillères, Christian Bourgois, 311 pages, 2022




 

dimanche 17 juillet 2022

Un livre de martyrs américains

 

Résumé: 2 novembre 1999. Luther Dunphy prend la route du Centre des femmes d'une petite ville de l'Ohio et tire sur le Dr Augustus Voorhees, l'un des " médecins avorteurs " de l'hôpital. De façon remarquable, Joyce Carol Oates dévoile les mécanismes qui ont mené à cet acte meurtrier et offre le portrait acéré d'une société ébranlée dans ses valeurs profondes. Entre les fœtus avortés, les médecins assassinés ou les " soldats de Dieu " condamnés à la peine capitale, qui sont les véritables martyrs ?


Je continue tranquillement mon exploration de l'univers littéraire de Joyce Carol Oates. Cette année, après la lecture  d'un recueil de nouvelles (Femme à la fenêtre)  et d'un de ses premiers romans (Amours profanes), c'est à un de ses pavés les plus récents que je me suis attaqué. 

Il faut quand même avouer qu'il n'est pas facile de choisir une lecture de JC Oates dans l'énorme PAL qui est la mienne concernant cette auteure (plus de 70 titres). Vers quel titre me tourner? Pour la lecture de ce Livre de martyrs américains, l'actualité américaine m'a fortement aidée (le revirement du congrès américain sur la loi de l'avortement qui a eu lieu il y a quelques semaines) ainsi que la mise en lumière de ce titre par l'auteur Jérémy Fel, sur sa page Facebook, me l'a fait sortir de ma "PAL Oates". 

Il y avait longtemps qu'un roman de Oates ne m'avait pas autant remué. Peut être depuis "Blonde", c'est vous dire. En tout cas, L'auteure prend le sujet de l'avortement à bras le corps et le fait de manière intelligente. En effet, elle décide de donner la parole d'abord à l'assassin, Luther Dunphy, en nous parlant de sa vie, de ses convictions religieuses et de ses engagements, afin de nous faire comprendre ses motivations. Puis, ensuite, de nous raconter la vie d'Augustus Voorhees, le médecin assassiné. Elle passera ensuite d'une famille à l'autre en se focalisant surtout sur les deux filles des deux protagonistes, Dawn Dunphy et Naomi Voorhees. 

Dans son écriture, Oates est très factuelle, sans jugement, elle raconte l'histoire de ses deux hommes sans prendre parti...et c'est admirable, car quoi qu'on dise on ne peut pas être pour les deux parties, il faut choisir un camp (et Oates est "pro choix", donc plutôt du côté de Voorhees)...sauf qu'elle ne juge pas pour autant le choix de Luther Dunphy l'assassin. Ainsi, elle montre à son lectorat les deux facettes, sans laisser quelqu'un sur le bord de la route. Si elle jugeait Dunphy, elle sait très bien qu'elle se mettrait une partie de la population  américaine (et donc de son lectorat)  à dos. Non, elle préfère raconter l'histoire d'hommes et de femmes qui font leur propre choix...choix qui vont changer à jamais le cours de leur vie. 

En faisant ce choix de narration (être le plus factuel possible), J.C. Oates, pose la question: qui sont les martyrs dans cette histoire: le médecin assassiné et sa famille ou l'assassin et sa descendance? Eh bien peut être tous messieurs dames. Dans cette histoire, il n'y a pas de gagnant et de perdant; il y a simplement des hommes et des femmes perdus dans cette société devenue folle. 

Honnêtement, j'ai été souvent mal à l'aise devant l'acharnement de ces hommes et femmes 'pro-vie" qui se prennent pour des guerriers. Mais Oates le rappelle très bien: 

"Qu'il y avait une guerre religieuse aux Etats Unis pour le coeur et l'esprit des citoyens...des électeurs. Qu'il y a une guerre.

Et dans une guerre des innocents périssent. " (P. 229)

Je vous le dis très sincèrement, c'est l'un des romans les plus importants qui existent sur le sujet de l'avortement. Si vous voulez comprendre l'état d'esprit des Etats Unis aujourd'hui, lisez ce livre absolument. 

Certes, ce livre n'est pas exempt de temps mort: peut être est il un peu trop long. En tout cas, j'ai ressenti un temps mort et des longueurs dans les dernières parties (celles concernant l'après procès de Luther Dunphy et se focalisant sur les filles de Luther et de Gus), qui on un peu douché mon enthousiasme du début, mais pas relâcher mon intérêt (sauf pour les parties sur la boxe qui n'est pas mon sport préféré, contrairement à Mrs Oates qui s'y connait et cela se sent dans son écriture et ses descriptions). Mais cela ne m'a pas empêché de le lire jusqu'au bout. Et cela ne remet pas en couse les premières parties coup de poing du roman. 

Encore une fois, j'ai aimé retrouvé le style de Claude Seban dans la traduction de Mrs Oates. J'aime ce qu'elle insuffle à l'écriture de Joyce Carol Oates. Pour moi, c'est vraiment la voix de cette grand autrice. C'est toujours un bonheur de lire Joyce Carol Oates dans le style de Claude Seban. 


Au final, un roman essentiel sur un sujet fort actuel et qui fait encore et toujours débat (l'avortement), raconté sans jugement par l'une des plus grandes autrices actuelles. Ne passez pas à côté de ce roman coup de poing et fort en émotion. Magistral. 

"Les fonds publics devaient ils servir à financer des avortements? Et quels avortements? Thérapeutiques, en cas de viols ou d'inceste, choisis? Les fonds publics  devaient ils servir à financer la contraception? Ces questions de société qui semblaient avoir été définitivement réglées des années plus tôt s'avéraient ne pas l'avoir été, et se retrouvaient au contraire constamment sur la sellette, particulièrement depuis l' élection présidentielle de Ronald Reagan en 1980. Aucun sujet n'excitait davantage les passions au sein des deux partis politiques et à chaque nouvelle élection, à chaque nouvelle campagne pour le maintien, l'augmentation et la diminution du budget, Gus Voorhees intervenait en qualité de porte parole de la médecine de  santé publique." (P. 193).  

Joyce Carol Oates: Un livre de martyrs américains (A book of Americans Martyrs), Points, 841 pages, 2019




dimanche 27 février 2022

Leurs enfants après eux

 

Résumé: Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence.


Il était temps que je sorte le "premier roman" de Nicolas Mathieu de ma PAL. Un roman qui fit du bruit lors de sa sortie et que j'ai laissé trainer sans trop savoir pourquoi. 

C'est après avoir vu Nicolas Mathieu dans plusieurs émissions la même semaine, pour la sortie de son nouveau roman "Conemara",  que je me suis dit que c'était un signe: il fallait que je découvre sa plume. 

Voilà un roman qui m'a parlé dès ses premières pages. Il a fait remonter en moi tous mes souvenirs d'adolescent. Alors, certes, je n'ai pas eu une adolescence aussi mouvementée qu'Anthony, mais tout ce qui l'entoure m'était familier: le fait de vivre dans une petite ville qu'on a envie de quitter, les références télévisuelles (comme "Santa Barbara" que regarde Hélène, la mère d'Anthony ou les musiques comme Nirvana, Gloria Gaynor, ou NTM, que l'auteur parsème dans le roman. Ou bien les évènements de la vie sociale et politique, toute cette époque m'a parlé, car c'est la mienne. 

Dans ce roman construit intelligemment tout en ne perdant pas le lecteur (comme dans un précédent roman que j'ai lu et qui sautait les années d'une partie à l'autre), nous suivons donc, Anthony, ado de 14 ans (en 1992), sur 4 étés qui vont chambouler sa vie. Sa vie qui va être liée à celle d'Hacine, un jeune beur des cités, petit trafiquant de drogue, qui va s'inviter à une fête à laquelle il n'est pas convié et qui va en profiter pour voler la moto du père d'Anthony. Ce vol de moto va être le point de départ d'une danse dangereuse et macabre qui va se conclure quelquefois dans la douleur. 

Alors, ce n'est pas joyeux et la région de l'est, en pleine désuétude et rempli de désillusion, qui sert de décor au roman n'est pas là pour aider. Mais, on s'attache tout de même à ses personnages que l'on va suivre sur 8 ans, puisque les sauts dans le temps seront tous de deux ans; l'action se passera toujours l'été et se terminera par l'été 98, un fameux été de coupe du monde qui pourrait redonner de l'espoir. Ces sauts dans le temps auraient pu être périlleux, mais l'auteur nous tient par la main et nous raconte dans des flashbacks, ce qui s'est passé pour les protagonistes durant les deux ans écoulés. Ainsi, le lecteur n'est pas perdu. 

Le fait également que les personnages ne soient pas nombreux aident beaucoup: en effet, nous suivont à peine une dizaine de personnages: Anthony et ses parents, Hacine et son père, Stéphanie, la jeune fille de bonne famille qu'Anthony aimerait bien baiser, et le cousin d'Anthony (qui ne sera jamais nommé) qui traine tout le temps avec lui. 

Pendant toute ma lecture, j'ai tenté de comprendre le titre du livre et c'est en arrivant à la fin, que la lumière s'est faite: Anthony, Hacine et la jeune Steph ne veulent pas reproduire la vie moyenne et sans relief de leurs parents, cherchant à  quitter ce lieu où le travail à déserté (La fermeture des usines qui faisaient la fierté de l'est de la France est une ombre permanente du livre)...sauf que la voie qu'ils prennent est la même que leur parents. C'est une constatation amère que l'on peut faire à la fin du roman, même si la fuite en avant d'Anthony peut ressembler à un espoir.

Vraiment, voilà un roman que j'ai beaucoup aimé découvrir, avec des personnages paumés auxquels on s'attache parfois avec étonnement. Un roman qui raconte la France d'une certaine époque (celle de la désillusion, même si l'espoir renaît avec une certaine coupe du monde de foot, pour un temps seulement). Une agréable surprise qui me donne l'envie de renouveler l'expérience avec son roman "Conemara". "Les enfants, après eux" a mérité son Goncourt et je vous encourage vivement à le dévorer à votre tour...mais peut être est ce déjà fait. 


P.S. Parfois, des artistes peuvent s'inspirer les uns des autres. C'est ce qui est arrivé avec le roman de Nicolas Mathieu. Un jeune artiste talentueux du nom de Tim Dup a écrit une chanson après la lecture de ce livre. Cette chanson, qui s'intitule "Après eux" résume très bien le livre, en plus d'être un très beau titre. 




Nicolas Mathieu: Leurs enfants, après eux, Actes Sud, 426 pages, 2018




vendredi 11 février 2022

La fortune des Rougon (les Rougon Macquart T1)

 

Ah Zola, Zola, Zola! Il y a déjà quelques années que j'ai envie de me plonger dans sa série des "Rougon Macquart". Pourtant, Zola, j'en gardais un mauvais souvenir et je m'étais dis, "plus jamais je le lirai!". J'étais adolescent. 

Pour bien comprendre mon ressenti de l'époque, il faut que je vous raconte une petite anecdote: c'était l'année de la seconde au lycée, dans les années 90 (il faut savoir qu'à cette époque déjà ,les classes étaient surchargées, montant à près de 35 élèves par classe...sauf que dans cette classe de seconde, dont je faisais parti, nous étions seulement 20 élèves). Notre prof de français, madame Marie, avait prévu de nous faire étudier ce cher Emile. Vu le nombre d'élèves dans la classe, elle eu l'idée de nous faire étudier la saga des Rougon-Macquart en entier: la saga comptant 20 tomes, notre classe, 20 élèves, c'était plus que faisable. Et voilà que chaque élève se retrouva à étudier un tome de la saga.  Bien sûr, nous n'avons pas eu le choix du tome (sinon tout le monde aurait lu et fait un exposé sur "Germinal"! Non, il n'y a eu qu'un veinard qui eu cette chance). Notre prof pris ainsi la liste des élèves et le premier de la liste étudia "La Fortune des Rougon", le 2e, "La Curée"...jusqu'au dernier qui devait lire et exposer "Le Docteur Pascal". 

C'est ainsi que j'ai eu la malchance de tomber sur "Le Rêve"(l'histoire d'Angélique Rougon" si mes souvenirs sont exacts).Et là ce fut un véritable calvaire, pourtant le livre est court. Mais il ne se passait rien dans ce livre, les descriptions de Zola à n'en plus finir finissant de m'achever. Je n'ai aucun souvenir de l'exposé que j'ai proposé de ce livre. Je ne garde en tête que mon ennui face à cette lecture qui me fit dire: "ZOLA? PLUS JAMAIS!'

Mais le temps à passé, et ce désir de lire Zola est revenu, et surtout la curiosité de  découvrir la série des Rougon Macquart. Puis, comme la découverte de Balzac l'année dernière fut une belle surprise (je continuerai d'ailleurs ma découverte de la "Comédie Humaine" cette année), je me suis dis que les classiques me faisaient moins peur et que je pouvais me lancer. 

C'est ainsi que j'ai pris l'initiative de profiter de la sortie de la "Collection Emile Zola" chez Hachette pour me lancer dans l'aventure. Ce ne sera donc pas la seule série des Rougon Macquaart que je m'apprête à lire mais l'oeuvre complète de Zola.

Et voilà que l'aventure commence avec le premier tome des "Rougon Macquart", "La Fortune des Rougon". Alors, je sais, on peut lire les livres de la saga dans le désordre (d'ailleurs, je lirai probablement cette saga dans l'ordre que l'auteur à mis en place) mais je pense qu'il est tout de même important de commencer la saga par ce premier tome: en effet, celui ci pose les bases de la famille Rougon Macquart en nous présentant celle qui en est la génitrice, Adélaïde Fouque, jeune fille de 18 ans, qui se marie avec un paysan du nom de Rougon, qui lui donnera un fils, Pierre, puis, devenu veuve, elle se mettra en ménage avec un braconnier alcoolique et violent Macquart qui lui donnera deux enfants illégitimes: Antoine et Ursule. 

C'est ainsi que ce premier tome, qui a pour toile de fond le Coup d'Etat du 2 décembre 1851, voit le conflit qui va se mettre en place entre Pierre Rougon, bourgeois ventripotent, avide de pouvoir et Antoine Macquart, fainéant patenté, qui hait cordialement son demi -frère. Et au milieu d'eux, se retrouve le jeune Silvère et la petite Miette, sa fiancée, qui vont se trouver mêlés à la révolte. 

Voilà, ce qui s'est passé avec Balzac, se reproduit avec Zola: j'ai adoré ce premier tome! Alors, bien sûr, c'est un tome d'introduction où l'action se déroule sur une semaine, un tome de présentation où l'auteur s'amuse avec des retour en arrière pour nous conter la génèse de tous ses personnages qui vont apparaitre pour certains dans d'autres livres: c'est ainsi que l'on apprend que Pierre se marie avec Félicité, avec laquelle il aura 5 enfants: 3 garçons, Eugène (que l'on retrouvera dans le 6e tome), Pascal (qui sera le fameux Docteur Pascal du 20e et dernier tome de la saga) et Aristide ("héros" du 2e tome: La Curée) et 2 filles (dont j'ai oublié les prénoms puisqu'elles ne sont qu'évoquée). Pierre et Félicité font partie de la caste de ces petits bourgeois avides de pouvoir: ils sont abjects et je n'ai pu que les détester. D'ailleurs, Zola peint un portrait catastrophique de cette famille Rougon, qui vont s'enrichir dans le sang. 

De l'autre, nous avons Antoine Macquart, demi-frère de Pierre, qui se retrouve envoyé en service et qui revient de la vie militaire sans le sou et qui apprend que son frère à pris toute la fortune de leur mère, Adélaïde. Antoine, c'est un fainéant, tout aussi détestable que son frère. Il se marie pour que sa femme et ses enfants travaillent à sa place tandis que lui ne fait rien. Parmi ses enfants, on découvrira Gervaise (la fameuse héroïne de "L'assomoir" qui donnera naissance entre autre à Etienne et Jacques qu'elle a eu avec un certain Lantier (Etienne qui sera le héros de "Germinal" et Jaccques "de "La Bête humaine"). (Quand je vous disais que la lecture de ce premier tome est primordiale en première lecture de la saga pour comprendre les tenants et les aboutissants des autres volumes). 

Ce roman aurait tout de détestable s'il n'y avait pas Silvère et Miette, le petit couple qui ouvre le roman lors de la nuit du coup d'Etat, à Plassans. Leur histoire d'amour raconté dans les chapitres I et V est une bouffée d'air frais et un véritable bonheur teinté de romantisme (dans ce qu'il a de plus beau et de plus tragique également) délivré par la plume poétique de Zola, qui est un véritable enchantement. C'est beau, c'est émouvant et cela nous change des êtres détestables que l'on croise autour d'eux. 

Cependant, le côté politique du roman ,avec les réunions au salon jaune, le coup d'Etat, sont aussi passionnant à découvrir. Malgré leur détestabilité, la famille Rougon est des plus passionnantes à suivre. En fait, je ne me suis pas ennuyé une seule minute dans cette histoire. Elle décrit parfaitement une époque (celle du Second Empire) et pour un passionné d'Histoire comme moi, c'est un plaisir décuplé (même si ce n'est pas ma période préférée de l'Histoire). 

Non, vraiment, c'est une formidable surprise que ce premier volume avec un final qui m'a fait frissonner et qui me donne envie de continuer la saga. Ce sera avec le 6e tome "Son Excellence Eugène Rougon" qui reviendra sur le parcours du fils ainé de Pierre et Félicité Rougon. (enfin lecture qui se fera quand il sera en ma possession). 

Ah Zola Zola Zola! Vous m'avez fait souffrir et soupirer quand j'étais un jeune adolescent. Vous me faites rêver et frissonner de plaisir aujourd'hui. Espérons que la suite de l'aventure soit aussi bien. Je croise les doigts. 


Emile Zola: La Fortune des Rougon (Les Rougon Macquart, T1), Hachette, 226 pages, 1871(édition originale), 2022 (pour mon édition)

 



La mort sur ses épaules

 

Résumé: A Lynch, en Virginie occidentale, les gens qui n'ont pas déserté la petite ville vivent dans la pauvreté, voire le dénuement. Il y a peu d'emplois et toute la communauté est sous la coupe de Ferris Gilbert, le cruel patriarche d'une famille de criminels, qui fait régner la terreur.

Lorsque Jason Felts, travailleur social qui a la particularité d'être nain, est chargé d'assister l'un des frères Gilbert, détenu à la maison de redressement pour possession de stupéfiants, Ferris y voit l'occasion de faire passer en fraude un dangereux colis à son jeune frère. Ferris Gilbert menace aussi Terry Blankenship, un jeune homme pauvre qui a fui la maison familiale pour vivre dans les bois avec le garçon dont il est amoureux.


Jordan Farmer nous propose avec son premier roman, "La mort sur ses épaules" un polar âpre, noir et poisseux, comme peut l'être le Sud des Etats Unis, lieu de l'intrigue de ce roman. 


Jordan Farmer fait le portrait de personnages paumés sans but dans la vie, vers lesquels on pourrait se sentir éloignés. Mais l'auteur arrive à en rendre certains attachants comme Terry, jeune homosexuel, shooté du matin au soir et qui, pour s'en sortir, est obligé d'accepter la sale besogne que lui a confié Ferris Gilbert, le mafieux du coin, afin de se sortir de ses galères, ou encore Huddles Gilbert, le frère de Ferris, qui se retrouve incarcéré après avoir été pris en possession de drogue. 


Ce qui fait que j'ai été captivé par ce roman, c'est sa construction: une construction en puzzle qui sombre progressivement dans la désolation, au point de nous faire peur devant l'issue inéluctable du roman, qui va fatalement vers une impasse où le happy end serait oublié. Ce qui est difficile a accepté en tant que lecteur quand on s'est pris d'affection pour des personnages comme Terry ou Huddles. 


J'ai toutefois ressenti comme un petit coup de mou dans la 2e partie (celle consacré à Jason, le conseiller de la prison où est enfermé Huddles). Ce dernier, atteint de nanisme (j'ai d'ailleurs eu beaucoup de mal à me représenter le personnage, ne sachant pas à quel point il pouvait être petit par rapport aux autres personnages du roman). Alors, son histoire n'est pas intéressante, mais j'étais tellement pris avec celles des deux garçons, Huddles et Terry, que j'ai eu un peu de mal à les mettre de côté durant cette 2e partie. 


Mais bon, ce n'est qu'un petit bémol car, passé cette partie, le roman repart de plus belle. Un roman noir qui ne ménage pas ses rebondissements dont certains m'ont surpris. La brièveté du roman y est peut être pour quelque chose: ainsi, l'auteur va à l'essentiel et ne passe pas des pages à faire hésiter ses personnages. 

Puis, vient la fin du roman: une fin que j'ai trouvé mélancolique, tout comme la ville de Lynch et ses habitants, qui se meurent à petit feu, comme si ceux ci étaient des condamnés en attente d'une mort prochaine. 


Au final, un petit polar rural surprenant qui a su me conquérir par son ambiance: celle d'un Sud Etasunien en déliquescence où chaque personnage essaie de trouver une porte de sortie, quitte à risquer leur vie. 




Jordan Farmer: La mort sur ses épaules, (The Pallbearer), Rivages, 287 pages, 2022